Femmebaiser par un cheval. Au fil du temps. Et devenir lamas, et dure neuf mois, une comédie de 411 av, voire de mère à fille, leur sort résulte aussi, malgré cette permission. Est appelée accouchement, le placenta est comestible. Home / Paper / On m’a obligé à coucher avec un chien et un cheval pour de l’argent » 25 décembre 2013 Paper 6,477 Vues On m’a obligé à coucher avec un chien et un cheval pour de l’argent » A l’allure où l’internet fait des dégâts de nos jours dans la couche jeune de la population camerounaise et surtout chez les désœuvrés, cela montre à quel point l’Etat camerounais s’est montré impuissant de contrôler ce vaste champ à la fois très important dans les recherches scientifiques, car détruisant et mettant en mal l’espoir de plusieurs camerounais. Comme en témoigne cette triste histoire racontée au journal Le soir » par une énième victime qui s’est vue utilisée et chosifiée par un prétendu un homme d’affaire français. C’est au cours de ses multiples randonnées sur le net que Elvire Axelle Tchamakoua, esthéticienne de formation, et âgée de 25 ans va tomber sur sa part de blanc » en octobre 2011. Avec ce dernier, la jeune Axelle va communiquer comme tout bonne camerounaise pendant un bon bout de temps via le net. Le blanc en question se nomme Jean Claude Fayard, qui s’est présenté à la jeune Axelle comme homme d’affaire faisant dans l’import export et basé à Marseille. C’est cet activité somme toute très florissante qui va aiguiser les objectifs d’Axelle. Six mois durant, ils vont échanger et au mois de Mars 2012 monsieur Fayard jean Claude décidé de venir au Cameroun accompagné de son conseiller financer rencontrer sa dulcinée qui l’attendait à bras ouvert. L’accueil sera faste et grandiose au domicile de la tante d’Elvire au quartier Santa Barbara, à Yaoundé. Après deux jours passées à Santa Barbara, Jean Claude décide de vite faire ce pourquoi il est venu, c’est-a-dire le mariage avec sa nouvelle femme qu’il aime beaucoup. Tous les rites coutumiers, civiles et religieuses seront effectues le week-end du 16 au 18 Mars 2012 à la mairie de Bafing et aussi à la paroisse saint Achille de la même ville à l’ouest Cameroun. Le départ du Cameroun pour la France eut lieu le 21 Mars 2012 par le vol Air France aux environs de 23 heures. De son départ pour la France, Jean Claude va laisser à ses beaux parents une somme de Fcfa comme argent de poche. Ce que la pauvre camerounaise ignore totalement, c’est que le prétendu homme d’affaire est en fait un proxénète réputé dans l’usage des jeunes filles à des fins commerciales. Une fois en France, Axelle déposera ses bagages dans la ville de Clermont Ferrand logis de Jean Claude. Après neuf mois passés dans cette ville, Jean décidera de déménager pour la ville de Lourdes où dit-il, ils devaient résider. C’est effectivement dans cette ville qu’Axelle va subir l’un des plus grands traumatismes de sa vie. Quelques jours après leur installation à Lourdes, un monsieur va sonner à la porte et il vient de la part de Jean Claude. Ce dernier est en fait un client venu se soulager car ayant versé de l’argent à Jean Claude. A la grande surprise d’Axelle qui va appeler son époux et ce dernier lui intimera l’ordre de faire » ce que dit le monsieur. Du retour de son boulot, Jean Claude se confiera à Axelle en ces termes sache que tu dois travailler pour me rembourser tout mon pognon que j’ai dépensé au Cameroun. C’est en tout cas plus de trois mille euros dépensés. Et, tu as deux ans pour me le rembourser. ». A ces mots, Axelle va s’écrouler et croira que tout ceci n’est qu’un rêve. Que non ! Rappelons que son passeport à été saisi par Jean Claude ainsi que toutes ses affaires personnelles. Interdit aussi de téléphoner. Chaque jour donc, elle se verra labourer et malaxer le derrière et même le devant par tout genre d’hommes qui allaient même sans préservatifs car ayant versé une somme importante auprès de Jean Claude. Un beau matin, Axelle est surprise de voir débarquer chez elle un certain monsieur Loiseau suivi d’un chien et accompagné de Jean Claude. Ce dernier venait se libérer après avoir mis longtemps sans avoir vu une chienne. Axelle Elvire sera ainsi conduite de force dans la chambre afin de coucher avec le chien de monsieur Loiseau. Parait-il dans ce milieu, le prix est triplé quand il s’agit des animaux. La jeune Axelle va regretter amèrement le fameux jour où elle rencontra cet homme. Après ceci, ils s’en iront en laissant la jeune Axelle toute seule. C’est alors qu’elle forcera la porte pour s’en sortir ne sachant où aller. Elle tombera sur un couple de jeunes camerounais, habitant Lourdes, le couple Dongbou qui lui indiquera le chemin de l’ambassade. Une fois là bas, l’ambassadeur Mbella, après avoir écouté cette dernière, la suivra au lieu de sa souffrance. Jean Claude sera arrêté mais par manque de preuve, le procès qui s’est déroulé le 10 Août dernier à Paris à débouché sur un non lieu. C’est tout larmoyante, abattue et très couverte de honte qu’Axelle a rejoint la terre de ses ancêtres le 11 Août dernier et conduite directement à l’hôpital départemental de Bafang où elle était sous soins intensifs. Elle s’est confiée au journal Le Soir » avant son décès survenu le dimanche 18 Août 2013. Selon le docteur Ngasseu Paulin, médecin chef à l’hôpital de Bafang, cette dernière a eu les parties génitales totalement endommagées. Check Also
Elleveut donner un bain à son chien, mais il se met debout et fait quelque chose qu'elle n'avait pas imaginé (vidéo) Race de chien: Elle veut donner un bain à son chien, mais il se met debout et fait quelque chose qu'elle n'avait pas imaginé (vidéo) Mercredi 09 Septembre 2020 MAJ le 10/09/2020 à 09:53 Actu Chien - Vidéos. Mercredi 09 Septembre 2020 | Par
Le Deal du moment Cartes Pokémon où commander le coffret ... Voir le deal € NEW YORK CITY LIFE Archives CorbeillePartagez AuteurMessageInvité Empire State of MindInvité Sujet Désespérante fascination [Casey] => Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé Terminé <= Page 1 sur 1Permission de ce forumVous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forumNEW YORK CITY LIFE Archives Corbeille
Topic Elle se fait prendre par un CHEVAL, elle est hospitalisée ! du 09-04-2021 13:43:34 sur les forums de jeuxvideo.com Selena Gomez en concert à Atlanta le 9 juin 2016 — Robb Cohen Photography &/AP/SIPA Vendredi 8 juillet 2016Incroyablement gaulée, Emily Ratajkowski hésite rarement à dévoiler ses courbes de rêve. Pour Harper’s Bazaar, la jeune femme s’est une fois encore prêtée au jeu du shooting dénudé, sur un cheval cette fois-ci. Le magazine l’a immortalisée en Godiva, une lady du XIXe qui, selon la légende, aurait chevauché nue dans les rues de Coventry en Angleterre, pour convaincre son mari de faire baisser les impôts locaux qui accablaient les habitants. Une incarnation visuellement réussie, mention spéciale pour le cheval, vachement Gomez embrasse une filleSelena Gomez est vraiment une frappadingue. Sur les réseaux sociaux, une vidéo de l’ex égérie Disney fait actuellement le buzz ». On y découvre la jeune femme lors d’une soirée, embrassant un tout petit bisou Ruby Carr, la pianiste qui assure ses premières parties. Pas de quoi fouetter un chat, mais ça a suffi pour enflammer » la Toile. Kim Kardashian a un corps très bizarrePour la énième fois depuis le début de l’année, Kimmy a postésur Instagram un selfie dévoilant ses courbes voluptueuses. Rien d’extraordinaire, si ce n’est sa silhouette étrangement proportionnée, de quoi agiter ses followers. Poitrine généreuse, taille de guêpe et hanches toutes rondes, il faut reconnaître que Kim Kardashian semble désormais venue d’une autre planète. Mais l’important c’est qu’elle se plaise à elle-même, non ?Sophie Tapie tombe le hautDe dos. Sur Twitter, Sophie Tapie, la fille de Bernard, a posté un cliché très estival, où on la découvre avec une amie, toutes les deux topless, les bras grands ouverts, face au soleil. Pas de problèmes de traces de maillot. Saviezvous qu'il y a un lien entre votre mental et la position de votre corps ? Une personne confiante ne se tiendra pas de la même manière qu'une personne déprimée. Pour les chevaux c'est pareil, il y a une corrélation entre la posture du cheval et l'état émotionnel qui lui correspond, donc pour apaiser votre cheval il suffit de lui faire prendre la posture de La SNCF a supprimé son service auto-train en 2019 photo d'illustration. - Robert François - AFPAlors que baisser les limites de vitesse sur autoroutes apparaît comme une mesure encore trop impopulaire et à l'efficacité limitée, voici quelques pistes alternatives pour réduire la pollution liée à la circulation d'une limitation de 130 à 110km/h sur autoroutes en France revient petit à petit dans le débat public. Avec un double-effet attendu limiter les émissions de CO2 et "redonner du pouvoir d'achat" avec la baisse de la consommation induite par ce ralentissement fiasco du passage au 80km/h sur le réseau national pourrait toutefois dissuader l'exécutif d'avancer officiellement sur cette mesure, dont l'efficacité globale fait en outre débat. Des mesures alternatives à une baisse généralisée de la vitesse peuvent déjà permettre de maitriser la consommation des véhicules, donc les émissions, tout en réduisant des respecter les limites ponctuelles en cas de pollutionAvant de baisser l'ensemble des limitations, respecter les baisses ponctuelles pratiquées lors des pics de pollution permet déjà de limiter une pollution ponctuelle. En effet, régulièrement en cas de franchissement des seuils de certains polluants, les vitesses sont abaissées. C'était le cas récemment dans le Vaucluse, avec 20km/h en moins en raison d'un épisode de pollution à l' Paris, la préfecture de Police conclut souvent ses communiqués d'une formulation type "La préfecture de Police mettra en place des contrôles destinés à s'assurer du respect de ces mesures", mais pourquoi ne pas abaisser aussi les vitesses à laquelle les radars automatiques flashent, seule manière relativement simple de s'assurer que les automobilistes adapteront réellement leur pas trop repousser la mise en place des ZFEAfin de réduire la pollution automobile en ville, la France dispose depuis quelques année d'un dispositif baptisé "Zones à faibles émissions" ZFE. A Paris, elle existe depuis 2015 et étendue à la métropole du Grand Paris et la zone se situant à l'intérieur de l'A86 depuis zones qui limitent leur accès aux véhicules les moins polluants sont en passe d'être généralisées à toutes les agglomérations de plus de habitants en 2024, on devrait compter un total de 55 ZFE en problème la mise en place de ces ZFE reste encore aujourd'hui laborieuse, laissant planer le doute sur la mise en œuvre réelle de ces restrictions de circulation en fonction du numéro de vignette Crit' reprendre l'exemple de Paris les véhicules sans vignette et Crit'Air 5 sont par exemple interdits à la circulation depuis 2019, les Crit'Air 4 depuis juin 2021. Mais dans les faits, cette restriction est simplement pédagogique. L'Etat et la métropole se renvoyant la balle sur les retards pris pour mettre en place la vidéoverbalisation qui permettrait de sanctionner les attendant, le nombre de véhicules "interdits" de circuler en théorie ne cesse de croître et, lorsque les sanctions tomberont, beaucoup d'automobilistes seraient potentiellement surpris de découvrir que leur voiture n'a plus le droit de rouler. Surtout en 2024, avec l'interdiction dans le Grand Paris de circuler pour les Crit'Air 2, donc tous les diesels, même les plus récents... Malgré le report à juillet 2023 de "l'interdiction" des Crit'Air 3, la métropole a en effet pour le moment choisi de maintenir le calendrier l'éco-entretien en plus du contrôle techniqueAu-delà des aides à l'achat de véhicules faibles émissions, favoriser l'entretien du parc existant peut permettre une utilisation optimale du véhicule. Par exemple en vérifiant davantage les échéances du contrôle technique, obligatoire en France quatre ans après la première immatriculation du véhicule, puis tous les deux ans, et qui dispose d'un volet antipollution. Le débat est relancé depuis l'an dernier sur la mise en place d'un contrôle technique pour les deux-roues, avec des effets attendus sur les niveaux d'émission des motos et autres globalement, encourager la pratique de l'entretien régulier du véhicule permet de s'assurer que sa voiture fonctionne correctement...et donc n'émet pas de polluants en Eco Entretien propose de récompenser ces bons comportements avec des dérogations d'interdiction de circulation dans le contexte de la mise en place des ZFE. Une voiture, qui ne porterait pas la bonne vignette Crit'Air, pourrait ainsi bénéficier d'une autorisation provisoire selon son niveau de consommation et un label à mettre en le public sur les émissions liées au transportDepuis le 1er mars 2022, la mention SeDéplacerMoinsPolluer doit figurer "sur les affichages publicitaires promouvant les véhicules motorisés".Objectif de cette mention "initier une nouvelle culture de la mobilité orientée vers des modes moins émetteurs de gaz à effet de serre et plus favorables pour le climat", un peu à l'image de la campagne "manger bouger" censée inciter les Français à faire de l'exercice depuis on peut douter de l'efficacité directe de telles initiatives, l'idée reste de changer l'état d'esprit de la population sur les transports et mettre en avant des modes de déplacement plus le même sens, un décret vient d'être publié et obligera d'ici à la fin de l'année les applications GPS Google Maps, Waze, Apple Plans... à faire apparaître ces messages de sensibilisation lors de la recherche d'itinéraire. De quoi laisser une dernière chance de vous faire renoncer à votre trajet en voiture pour que vous enfourchiez un obligation pour les GPS proposer un itinéraire moins rapide pour rejoindre sa destination, mais surtout moins polluant. "Lorsque l'itinéraire initial comprend une portion en véhicule motorisé dont la vitesse maximale autorisée est supérieure ou égale à 110km/h, les services numériques d'assistance aux déplacements proposent un itinéraire alternatif prenant en compte une diminution de la vitesse maximale de 20km/h sur les portions concernées", peut-on lire dans le défaut de baisser les limitations de vitesse sur autoroute de 130 à 110 km/h, on pourrait donc être de plus en plus inciter à ralentir. A chacun ensuite de faire ses arbitrages entre temps passé sur la route et budget dépensé/émissions générées puisque le niveau de consommation, et donc d'émissions dépend directement de la vitesse moyenne sur un pédagogique qui pourrait avoir du sens que le ticket de péage sur autoroute donne la vitesse moyenne pratiquée sur un tronçon, et les émissions de CO2 moyenne estimée selon le carburant, ou la consommation électrique, par rapport à une vitesse de 110 km/h pour un véhicule caissière remet à une automobiliste, le 12 mars 2003 au péage de Voreppe, une fiche lui indiquant sa vitesse moyenne sur la portion d'autoroute qu'elle a empruntée. Cette opération, mise en place uniquement dans le sens Lyon-Grenoble jusqu'au 15 mars prochain, vise à sensibiliser les conducteurs aux excès de vitesse. © AFPUne simple adaptation d'un dispositif mis en place en 2003 dans le sens Lyon-Grenoble photo ci-dessus, avec un ticket de péage qui donnait la vitesse moyenne sur le tronçon pour sensibiliser les conducteurs aux dangers des excès de les trains de nuit, le retour de l'Auto/train?On peut enfin regretter l'arrêt du service Auto/train de la SNCF en décembre 2019, qui permettait d'emmener sa voiture pour en disposer en arrivant à sa gare de destination. Une bonne alternative à ne voyager qu'en voiture ou uniquement en train, avec la problématique des déplacements une fois arrivée sur place, par exemple pour rejoindre son lieu de vacances final, pas forcément proche de la le service faisait face à une équation impossible, avec une utilisation trop faible pour atteindre les seuils de rentabilité suffisants, comme le soulignait un article du Moniteur Automobile. En alternative, la SNCF propose depuis de faire convoyer son véhicule par un chauffeur de son partenaire Hiflow, ce qui ne résout pas la question des émissions de CO2 puisque le véhicule roulera forcément pendant que vous opterez pour un transport plus vertueux...A voir donc si dans le cadre du plan climat, un soutien public pourrait encourager le retour d'un tel service. Un peu à l'image des trains de nuit, remis au goût du jour avec l'appui du gouvernement en 2021.
sonchamp est limité chez le cheval à un angle de 60° Elle est beaucoup plus large chez le cavalier dont les yeux sont frontaux La zone de vision monoculaire (en jaune) est celle qui n’est vue que par un œil; elle est plus large et moins précise. 32 Vision binoculaire chez le cheval •Par comparaison avec chat, le cheval a une vision binoculaire étroite. •Il est plus stratégique
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Malgréles quelques mois passés sur ces nouvelles terres, Libellule avait encore de nombreux lieux à découvrir et s'amusait beaucoup à se perdre (de toute maniè

* Ip L\ ' *' Wí ' M *Sr^% S \ ' ~J%"à i>- p>. » /S73 í -\ír ' ' ’ ÉDITION PORTATIVE DES REVERIES, O u MEMOIRES $UR L'ART DE LA GUERRE , PAR MAURICE COMTE DE SAXE, me DE CVRLANDE ET DE SEMIGALLE, Maréchal général des arme'es de s. m. t. c, &c ,&c. Edition revue U corrigée exaclemem fur le Manuscrit original augmentée de VAbrégé de la Vie de r Auteur , & de plusieurs pieces fur l’Art de la Guerre , relatives aujjjiême de M. le Maréchal de Saxe. î^e tout dirigé par M. de Viols* ancien Officier d’Artillerie» A DRESDE, Aux dépens de l’Editeur; ^ V* P *! ' kì X»»s>X .j j f v ” ^ ì „ ^ > 'Hè* -3+í MXDWM J퀻 4 »Çí~ dit ? to™\X*X*X$ ± - ^□ac3icii=Ev^jt>^za^Eraiiriaí^ A MESSIEURS LES OFFICIERS GENERAUX. ]V1essieurs, Cet ouvrage, que j’ai Thon- neur de vous dédier, ne peut qu être bien reçu , venant d’un Auteur si illustre c’est dans cette confiance que j’ose vous le présenter. A qui pouvois-je mieux soffrir qu’à vous, Messieurs , puisqu’ií n’a été fait que pour votre usage ? Recevez-le donc aij ív comme un bien qui vous appar- tenoit, que je ne fais que vous restituer, & non comme un hommage que vous rend un vil adulateur dans une épître dictée par la flatterie ou l’intérêt. Je souhaite , Messieurs,- que mon. zele puisse vous être agréable. Je suis avec une très-profonde vénération , MESSIEURS , j Votre très-humble & trèsì ebéijfant serviteur * * * V avertissement. X 'Empressement du Public à se procurer les différends Editions de ces Mémoires , fait a ff e q connoítre la bonté de l ou- yrage , & nous a déterminés à le reproduirefous une nouvelle forme. La plupart des autres Editions ont été faites d’après celle qui parut à la Haye en un volume in-folio , publiée par M. de Bonneville , qui tira une copie du Manuscrit original que M. le Maréchal de S axe avoit donné à M. le Comte deScànt-Ger- main , dont M. de Bonneville étoit Secrétaire . Aucune de ces Editions ne nous a paru affe^ commode, surtout pour Messieurs les e lles font toutes exécutées avec Jl peu de foin , qu il semble qu on aiij vj AVERTISSEMENT. ait ase clé de copier les fautes mêmes d’impression qui avoient échappé à la vigilance du premier Editeur,fans s’être embarrassé d’imiter la beauté de U exécution. Cette nouvelle Edition joint à Vavantage d’être portative , celui d' avoir été faite fous les yeux de plusieurs connoijfeurs. Au refle elle a été revue fur une copie manuscrite que M. le Maréchal de Saxe avoit donnée sous le sceau du secret à un Officier distingué, tant par sa naissance que parses exploits militaires, qui a bien voulu nous aider de ses conseils. II s 3 efl fait , ains que nous , un scrupule de toucher au fond des matières mais il n 'a point hésté à changer quelques expressions peu Françoises , ou quelques tours de phrases peu intelligibles ! C 3 es encore par son avis que nous avons mis à la tête de ces. AVERTISSEMENT, vìj Mémoires un abrégé succint de la, vie de M. le Maréchal de Saxe , persuadés que les Lecteurs seront charmés de connoitre les principales actions de ce grand Capitaine . Nous avons terminé ces Mémoires par des morceaux relatifs aux vûes de M. le Maréchal de Saxe, & qui nous ont été envoyés par des Officiers d'un mérite connu. Mes» ficurs les Militaires conviendront qu 'il seroit à propos , pour la perfection d’un Art qui f ait les Héros , que ces idées fussent mises à exécution. A u fi nous ne doutons pas que le Ministère , toujours attentif à la gloire de la Nation, n y donne quelque jour tous ses foins. Cette Edition n a pas a la vérité l’avantage des figures dont les autres font plus ou moins ornées. Mais outre qu elles ne nous ont P as paru absolument nécessaires, viij AVERTISSEMENT. nous y avens suppléé par une ex~ plication claire & précise des Ope- rations ; & un Lecteur intelligent les regrettera d’’autant moins , qu il connoít les variations journalières qui arrivent dans les différentes manoeuvres d’une armée . IX ABRÉGÉ DE LA VIE DE M. LE MARÉCHAL DE SAXE. M Auric e , Comte deSaxe, naquit à Dresde le 19 Octobre 1696. II étoit fils naturel de Frederic- Auguste II. Electeur de Saxe, Roi de Pologne, & Grand Duc de Lithuanie, & de la Comtesse Aurore de Konis- marck, d’une des plus illustres Maisons de Suede. Le jeune Comte de Saxe fut élevé avec le même soin que le Prince Electoral, & donna dès son enfance des marques décidées de son inclination pour les armes. Au íortir du berceau il ne lui falloir que des tambours & des tymbales> a v X Abrégé de la P”te don r le bruit lui plaisoit tant qu’il est faisoit son unique amusement. A mesure qu’il grandiísoit il couroit avec une avidité singulière voir faire l’exer- cìce aux troupes, & à peine étoit-il rentré dans son appartement qu’il faisoit venir des enfans de son âge , avec lesquels il imitoit en petit ce qu’il avoir vû exécuter en grand. Les armes l’aí- fectoient tellement qu’il ne vouloit entendre parler d’aucune étude ; on eut bien de la peine même à lui faire apprendre à lire & à écrire le cheval & le fleuret l’occupoient entierement. On ne parvenoit à le faire étudier quelques heures le matin qu’en lui promettant qu’il monteroit à cheval l’a- près-midi. II aimoit à avoir des François auprès de lui, & c’est pour cette raison que la Langue Françoise fut la seule Langue étrangère qu’il voulut bien apprendre par principes. Le Comte de Saxe suivit ensuite l'Electeur son pere dans toutes ses expéditions militaires ; il se trouva au siège de Lille en 1708 , à l’âge de 12 ans , en qualité d’Aide Major Général du Comte de Schullembourg, Géné- de M. de Saxe. xj rai des troupes Saxonnes, & monta plusieurs fois à la tranchée tant de la Jille que de la Citadelle fous les yeux à Roi son pere , qui dès-lors conçut de grandes idées du jeune Prince. II ne marqua pas moins d'intrépidité au íìege de Tournay qui se fit l’année sui- J an te , où il manqua périr • plusieurs îois ; mais où il se fit plus admirer à cet âge-là , ce fut à la Bataille de Mal- plaquet le 11 Septembre de la même année, où il fit des prodiges de valeur; êc loin d’être rebuté par 1 horrible carnage de ce combat, il dit le soir , qu’2/ doit content de fa journée. La Campagne de 17x0 ne lui sut pas moins glorieuse ; les Généraux Marlborough & Eugene firent publiquement son éloge. Il suivit en 1711 le Roi de Pologne à Stratsund , où il passa la rivière à la fiage à la vue des ennemis, le piílolet à la main; il vit périr à ses cotés, pendant ce passage, trois Officiers & plus de vingt soldats fans en paroître plus dmu. , L e retour à Dresde, le Roi qui avoir tte témoin de son courage & de sa a v] jdj Abrégé de la Vîe capacité lui fit lever un Régiment c?é Cavalerie le Comte de Saxe n’eut d’autre occupation tout l’hyver que de faire exécuter par son Régiment les nouvelles évolutions qu’il avoit imaginées, & le mena l’année suivante contre les Suédois. II se trouva en 1712 à la sanglante Bataille de Gudel- bush, où son Régiment qu’il avoit ramené trois fois à la charge, souffrit considérablement. Après cette Campagne Madame de Konismark fa mere lui fit épouser la jeune Comtesse de Loben , Demoiselle riche & belle , qui avoit le nom de VtBoire. M. le Comte de Saxe a dit depuis ,. que ce nom avoit autant contribué à le décider pour la Comtesse de Loben, que fa beauté & ses gros revenus. II eut de ce mariage un fils qui mourut fort jeune néanmoins tous les avantages qu’il avoit trouvés dans cet établissement, ne furent point capables de le retenir dans les liens du mariage ; il le fit dissoudre ; il promit cependant à la Comtesse de ne jamais se remarier , & il lui tint parole. La Comtesse n’en fit pas de même ; de M. de Saxe. x elle se remaria avec un Officier Saxon, dont elle eut trois enfans, 6 c avec qui elle vécut en très-bonne intelligence. Cette Princesse ne consentit à la dissolution de son mariage qu’avec beaucoup de répugnance car elle aimoit tendrement le Comte de Saxe ; celui- ci s’est repenti plusieurs fois d’avoir fait cette démarche. Le Comte de Saxe continua à se distinguer dans la guerre contre les Suédois ; il se trouva au mois de Décembre 171 s au siège deStratsund où Charles XII. étoit renfermé. Le désir de voir ce Héros le faisoit s’exposer un des premiers à toutes les sorties des assiégés j & à la prise d’un ouvrage à cornes, il eut la satisfaction de le voir au milieu de ses Grenadiers la maniéré dont ce fameux Guerrier se com- portoit, fit concevoir au Comte de Saxe une grande vénération, que ce Seigneur a toujours conservée depuis pour fa mémoire. Peu de tems après ayant obtenu k permission d’aller servir en Hongrie contre les Turcs, il arriva au camp de Belgrade le 2 Juillet 1717 , où le xìv Abrégé de la P~le Prince Eugene lui fit l’accueil le plus gracieux. 11 ne fe paísa aucune action où notre jeune Héros ne signalât son courage , & prit beaucoup de goût pour les Méchaniques. Il refusa en 1733 le commandement de l’armée Polonnoise , que le Roi son frerelui offrit; il aima mieux le signaler fur l e Rhin sous les ordres du Maréchal de Berwick, surtout aux lignes d El- lingen & au siège de Philiíbourg , après lequel il fut fait Lieutenant General le premier Août ï734. La guerre s’étant rallumée après la mort de l’Empereur Charles VI. le Comte de Saxe fut de 1 armée de Bohême , & prit d’assaut la Ville de Prague le 26 Septembre 1741 , puis Lgra & Ellebogen il leva ensuite un Régiment de Hullans , & ramena 1 armee de M. le Maréchal de Broglio * ur le Rhin } où il établit différend xviïj Abrégé de la ï r ie postes, & s’empara des lignes de LaV"- terbourg. M. le Comte de Saxe fut fait Maréchal de France le 26 Mars 1744; & commanda en chef un Corps d’ar- mée en Flandres. II observa si exactement les ennemis qui étoient supérieurs en nombre, & fit de si belles manœuvres qu’il les réduisit dans l’in- naction , & qu’ils n’oferent rien. Cette Campagne de Flandres lui fit beaucoup d'honneur , & passa en France pour un chef-d’œuvre de l’Art militaire. II gagna fous les ordres du Roi la fameuse Bataille de Fontenoy, le 11 Mai 1745 , où quoique malade & languissant, il donna ses ordres avec une présence d’esprit, une vigilance, un courage , & une capacité qui le firent admirer de toute farinée. Cette Victoire sut suivie de la prise de Tournay, dont les François fai- sôient le siège , ainsi que de Gand , de Bruges , d’Oudenarde, d’Ostende, d’Atss, Sec. & dans le temps que l’on croyoit la Campagne finie, M. le Maréchal de Saxe se rendit maître ds Bruxelles le 28 Février 1746. de M. de Saxe. xix La Campagne suivante fut auflì très- glorieuse au Comte de Saxe. II gagna la Bataille de Raucoux le 11 Octobre *74d. Sa Majesté pour le récompenser d’une suite si constante de ses services , le déclara Maréchal Général de ses Camps & Armées le 12 Janvier I 747* Tant de succès firent trembler les Hollandois ; ils crurent .pouvoir en arrêter le cours par la création d’un Stadhouder, & ils élurent le 4 Mai suivant le Prince Guillaume de Nassau rn'ais cette Election n’empêcha pas la supériorité des armées Françoises ; le Maréchal fit entrer des troupes en Zelande, gagna la Bataille de Law- feldt le 2 Juillet suivant, approuvai siège de Berg-op-Zoom, dont M. de Lowendalh se rendit maître , & prit la Ville de Maestrich le 7 Mai 1748» Tant de succès forcerent les ennemis de la France à demander la paix, laquelle fut conclue à Aix-la-Chapelle I e 18 Octobre de la même année J 748. Le Maréçhal de Saxe couvert de XX Abrégé de la Vie , gloire, & n’ayant plus rien à faire pour aflurer l'immcrtalité de ses succès, fixa son séjour à Chambord, Maison Royale que Sa Majesté lui avoir donnée. II y fit venir son Régiment de Hullans, & y entretint un haras de chevaux sauvages, plus propres pour les troupes légeres que ceux dont nous nous servons. Quelque temps après il fit un voyage à Berlin , où le Roi de Prusse lui fit un accueil des plus favorable , & passa plusieurs nuits à s’entretenir avec lui. De retour à Paris il projetta rétablissement d’une Colonie dans l’Iste de Tabaco ; mais F Angleterre & la Hollande s’étant opposées à cette établissement , le Maréchal ne pensa plus qu’à jouir paisiblement de quelques années, dont une foible santé devoir bientôt terminer le cours. Enfin, comblé de biens & d’honneurs, & jouissant de la plus haute réputation, il mourut à Chambort après neuf jours de maladie, le 30 Novembre 1750, Agé de y 4 ans. II n’est pas possible d’exprimer ici de M. de Saxe. xxj combien toute la France sut sensible à la perte de ce grand homme ; ce fut un deuil universel son corps fut transporté avec pompe à Strasbourg, sc déposé dans le Temple neuf de Saint Thomas , où Sa Majesté fait élever un magnifique Mausolée d’après le modelé du célébré Pigal, Sculpteur. Peu de temps avant fa mort ce grand Capitaine, pensant à la gloire dont il avoit joui, se tourna vers son Médecin , 8e lui dit, M. Senac , j’ai fait un beau songe il avoir été élevé, 8t il mourut dans la Religion Luthérienne ; ce qui fit dire à une Princefle vertueuse êc Catholique, quù/ étoit bien fâcheux cpïon ne pût dire un De ProfUNDIS four un homme qui avoit fait chanter tant de Te Deum. H y avoit quelque tems qu’il avoit composé son Traité sur la Guerre, intitulé mes Rêveries. II le légua à M. le Comte de Frise son neveu ; celui-ci cn donna deux copies , l’une à M. le Comte de Saint-Germain, & l’autre u M. le Duc de .... L’un Sc l’autre jaloux de laisser à la Nation des mé-. Sftcij Abrégé de la Fte moires intéretíans pour fa gloire, en ont procuré volontiers l’impreffion, comme le seul moyen de les rendr publics. On ne peut douter que le Maréchal de Saxe n’ait été un grand Guerrier, & un habile Général la supériorité de son génie, l’étendue de ses connoissances dans l’Art militaire, le courage & l’intrépidité qu’il a feit voir dans toutes les occasions , la victoire de Fontenoy, la conquête des principales Villes de la Flandre Autrichienne , & d’une partie du Brabant ; la prise de Bruxelles & de Ma es- tricht, fa prudence , fa capacité, .& une expérience consommée dans toutes les parties de la guerre , & dans les sièges de plus de seize places qu’il conduisit avec vigueur , au milieu de l’hy ver & des eaux ; fa belle Campagne de 1744, oii il tint les ennemis en échec & dans l’inaction, quoiqu’infíni- ment inférieur en hommes ; & enfin, une fuite constante de glorieux succès depuis qu’il fut mis à la tête des armées de France , transmettront sa mé- de M. de Saxe. xxitj íïioire à la postérité la plus reculée , & le feront toujours placer parmi les grands Généraux. Heureux s’il eût pû dompter ^inclination qu’il eut toute fa vie pour le sexe, avec autant de facilité qu’il domptoit ses ennemis ! Cette passion fut pour ce grand homme une chaîne de douleurs, & ne contribua pas peu à abréger ses jours. DISCOURS DISCOURS PRELIMINAIRE. S J la plupart de ceux qui ont écrit sur la science militaire eussent fait cette réflexion , qu’il ne sufiSt pas d avoir de la théorie, mais qu'il faut encore beaucoup d’expé- ri ence pour être en droit de donner des préceptes , l'on ne v erroit pas tant de mauvais livres . L' art de la guerre ejî de tous , celui qui demande le plus de pratique & dé application , il n appartient qii à ces guerriers qui joignent a l’intelligence & à d esprit , une expérience consommée , de nous en donner une saine théorie. Qu ils J on t rares ces grands hommes ! & qu û y a peu d'ouvrages sortis de eurs plumes ! Au contraire , que 2 } DISCOURS d’auteurs présomptueux J & cornélien de ces compilateurs dont lafotte vanité a enfanté une infinité de volumes, qid , depuis quelques années , ont accablé le Public de tout ce que la stupidité & la pédanterie militaire ont jamais produit ! Les uns ont prétendu prescrire des règles pour f aire mouvoir des années, pendant qu ils ignoroient les principes de P art,fur lesquels ils nous ont débité mille absurdités & mille folies qui ne mentent pas Vattention des gens sensés. Les autres ont pillé & rapf'o- dié des ouvrages , qu ils ont disent- ils rendus moins prolixes L plus intelligibles j mais qui dans la vérité font toujours refilés les mêmes , & où don n apperçoit d'autre changement que des titres pompeux , des observations aufifii ridicules que. dépourvues de sens, des citations tirées de Moyse & des prophètes, & plusieurs autres semblables rhiseres . PRELIMINAIRE. z Ces messieurs veulent fans doute fe faire une réputation parleurs écrits. Ces petits auteurs fe croiroient-ils grands hommes ? Que fçait-on ? fous ombre de cette fausse modestie quilsfont paroître dans leurs préfaces & dans leurs épures , peut-être leur vanitéva-t-elle jusqu à s’imaginer qu on les croira dignes de commander les armées. Que des militaires lisent les ouvrages d’un Conàh,d'un Turen- ne, d’un Montécuculì^ d’un Eugène j ils y trouveront de futile ; mais â quoi bon ceux d'un guerrier qui ne s ’efl point signalé, & qui n’ a pas donné des preuves de fa capacité i ? Malheureusement pour nous , ces grands hommes ont peu écrit furies talens quilspoffédoient , &, des mémoires quils nous ont laissés , à peine formeroit-on deux in-quarto ; mais ils disent cependant A ij 4 DISCOURS beaucoup , bien dijférens en cela de certains ouvrages volumineux qui ne disent rien. Peu de gens ont feu ce que c’é- toit que les Reveries de feu M. le Maréchal de Saxe { * j Von a cru que ce titre n annoncoit que des projets chimériques , & des innovations ridicules& des ennemis jaloux de la gloire & de la mémoire de ce grand homme , n ont pas manqué d’appuyer fur la mauvaise opinion que l’on s’en étoit formée. Ce n efl pas feulement pour fatisr faire la-curiosité du Public , que j’ai f ait imprimer cet ouvrage; mais encore pour remplir les vues de son ili Luflre auteur, qui ne Va fans doute écrit que pour en faire part aux militaires. Ceux qui font pourvus de * II disoit qus toutes les actions de la vie n’étoient que des rêves ; & c’eít appa^ remment pourquoi il a donné à cet ouvrage le titre de Reve&ies. PRELIMINAIRE. 5 bon sens , & qui ont de V expérien- Ce j verront s’d contient des choses ridicules. Ily a des idées quiparoi- tront peut-être telles à certains officiers qui , quoique novices à laguer- re 3 y occupent les premiers grades , lux quels ils n ont été élevés que par la faveur ou V intérêt , qui leûr ont tenu heu de mérite & de capacité y mais on fera peu de cas de la façon de penser de ces messieurs ce nefi P as à la décision d’un goujas * qu on s*en rapportera fur les beautés ou les défauts de U architecture d un palais y ce fera fans doute au. jugement des grands maîtres & des connoiffieurs. Je crois devoir avertir ici les lecteurs, que , pour bien comprendre les idées de Vauteur , il ejl nécessaire qu ils lisent avec attention Vouvrage d’un bout à Vautre , au * Un goujas est un manoeuvre qui porte h mortier aux maçons, A iij 6 DISCOURS, lieu de sauter les chapitres indifféremment , comme laplupart ont coutume de faire. II y en aura qui trouveront fans doute bien des fautes dans le Jlyle> où il y a beaucoup de répétitions , des mots & des termes qu on appelle usés mais il ne s’a- gitpoìntici d* une pièce d’éloquence ; & Ion ne sçauroit répeter ajse^sou- vent 3 ni avec trop desmplicité , les choses que l’on veut bien faire entendre , surtout lorsqu ’il ejl que lion de matières sérieuses & inflruclives. AVANT - PROPOS* -L a guerre est une science couverte de ténèbres-, dans l’obscurké descelles on ne peut marcher d un pas assuré la routine & les préjugés, fuite naturelle de l’ignorance, font la base àe cet art. Toutes ìes sciences ont des principes Se des règles * ,1a guerre feule n’en a point. Les grands capitaines qui en ont écrit ne nous en ont point donné. II faut être consommé pour les entendre ; Se il est ìmpofílble de fe former le jugement fur les historiens qui ne parlent de la guerre que selon qu’elle fe peint à leur imagination. Quant aux capitaines qui en ont écrit, ils ont plus * La guerre a des règles dans les parties de dctails ; mais elle n’en a point dans les sublimes. Aiv ge,pA'-s3ì>^>-.=g 8 A FA N T -PROPOS. songé à plaire qu’à instruire ; parce que la méchanique de la guerre est d’une nature seche &c ennuyeuse. Les livres qui nous donnent des principes ne font qu’une fortune médiocre, & ne peuvent avoir leur mérite que lorsque le temps a tout effacé. Ceux qui traitent de la guerre en historiens n’ont pas le méme fort ; ils font recherchés par les curieux, & conservés dans les bibliothèques. C’est ce qui fait que nous n’a- vons qu’une idée confuse de la discipline des Grecs & des Romains. Gustave-Adolphe a créé une méthode que ses disciples ont suivie, & îls opt fait tous de grandes choses. Depuis ce temps-là nous avons dérogé successivement, parce que l’on n’avoit appris que par routine de-là vient la confusion des usages, où chacun a augmenté ou retranché. Ces usages font cependant respectés, à cause de leur illustre origine. Mais quand on lit AvA NT- PROPOS. 9 JMontécuculi , qui étoit contemporain, ôc qui est le seul Général qu. soit entré dans quelque détail , 1 on s’apperçoit très - bien que nous nous sommes déja plus écartés de la me " thode dè Gustave - Adolphe , qu’il ns s’étoit éloigné de celle des Romains. II n 5 y a donc plus que des usages dont les principes nous font inconnus. J’approuve la noble hardiesse d u Chevalier de Follaid, qui a été le seul qui ait osé franchir les bornes des préjuges. Rien n'est fi pitoyable que d’en etre 1 esclave c’est encore une fuite de l’igno- rance , ôc rien ne la prouve tant. Mais il va trop loin il avance une opinion qui en détermine le succès , fans faire attention que ce succès dépend d une infinité de circonstances que la prudence humaine ne fçauroit prévoir. II suppose toujours les hommes braves , fans faire attention que la valeur des troupes est journalière, que rien n’est si varia- io AVANT- P ROP OS. ble, & que la vraie habileté d’un Général consiste à sçavoir s’en garantir, par les dispositions, par les positions & par ces traits de lumière qui caractérisent les grands capitaines. Peut-être s’est-il réservé cette matière, qui est immense; peut-être aussi n’ya-t-il passait attention. C’est pourtant de toutes les parties de la guerre la plus nécessaire à étudier. Telles troupes seront infailliblement battues dans des retranchemens, qui, en attaquant, auroient été victorieuses peu de gens en donnent une bonne raison ; elle est dans le cœur des humains, & on doit l’y chercher. Personne n’a traité cette matière , qui est la plus considérable dans le métier de la guerre ,1a plus sçavante, la plus profonde, &sans laquelle on ne peut se flatter que des faveurs de la fortune, qui quelquefois est bien inconstante. Je vais rapporter un fait entre mille autres, pour persuader mon opinion sur l'imbécillité du cœur humain. ArANT-P ROFOS u A U bataille de Friedlingen , l’infan- îerie Françoise , après avoir repoussé celle des Impériaux avec une valeur incomparable , après savoir enfoncée plusieurs fois , Sc savoir poursuivie au travers d’un bois jusques dans une plai- ne qui étoìt au-delà, quelqu’un s’avi- sa de dire que sonétoit coupé il parut deux escadrons François peut-être ; toute cette infanterie victorieuse s’enfuit dans un désordre affreux, sans que personne l’attaquât ni la suivît. Elle repas- lu le bois, Sc ne s’arrtta que par de-la fo champ de bataille. Le maréchal - de Ftllœts Sc les Généraux firent de vains efforts pour ramener le soldat. La bataille etoit cependant gagnée, Ôc la cavalerie Françoise avoit défait slmpérìa- le de façon' que l’on ne voyoit plus d’enn'emis. C’étoit pourtant les mêmes hommes qui venoient de vaincre, dont tíne terreur panique avoit troublé leS sens, Sc qui avoit perdu contenance au A vj IX AFANT-PROPOS. point de ne pouvòir la reprendre. C’est de M. le maréchal de Villars que je tiens ce fait il me l’a raconté à Vaux- villars, en me montrant les plans des batailles qu’il a données Qui voudroit chercher de pareils exemples, en trou- yeroit quantité chez toutes les nations» Celui-ci prouve aíTez la variété du cœur humain , & le cas qu’on en doit faire» Mais, avant que de passer à des parties fi élevées, il faut examiner les moindres , je veux dire les principes de l’art» Quoique ceux qui s’occupent des détails passent pour des gens bornés , iL me paroît pourtant que cette partie est essentielle j parce qu’elle est le fondement du métier , & qu’il est impossible de faire aucun édifice , ni d’établir aucune méthode, fans en fçavoir les principes. Je me servirai ici d’une comparaison» Tel homme a du goût pour l’ar- çhitecture, & íçait dessiner ;il feratrès- hien le plan & le dessein d’un palais fi AVANT-PROFO S. iZ t'cs-le lui exécuter ;s’il ne sçait la coupe des pierres, & s’il ne sçait asseoir les son- demens de ledifice, tout s’écroulera bientôt. II en est de même d’un Général qu* ne connoîr point les principes de l’art, ni comment ses troupes doivent etre composées ; ce qui doit servir comme de base à tout ce qui se fait à la guerre. Lhs principaux succès que les Romains ont toujours eus avec de petites arme es contre des multitudes de barba- res , ne doivent s’attribuer à autre cho- & qu’àl’excellente composition de leurs troupes. Ce n’est pas que jé prétende } pour cela, qu’un homme d’esprit ne puisse se tirer d’affaire , quand il se trou- Veroit commander une armée de Tar- tares. II est plus aisé de prendre les gens comme ils font, que de les former comme ils doivent être; & l’on ne dispose pas des opinions, des préjugés 8e des volontés. í4 AVANT- P R OPO S. Je commencerai par la méthode ds lever des troupes, celle de les habiller f celle de les entretenir, celle de les for' mer, & celle de combattre. II seroit hardi de dire que toutes les méthodes que l’on emploie à présent ne valent rien ; car c’est faire un sacrilège que d’attaquer les usages , moins grand cependant que trelui d’établir des nouveautés. Je déclare donc que je tacherai seulement de faire voir les abus dans lesquels nous sommes tombés» . K “yy r? ' .5 II _ ... à „ [I ^ jf, livre premier» Des parties de détails. CHAPITRE PREMIER. De la manière de lever des troupes , de celle de les habiller, de les entretenir , de les payer , de les exercer , & de les former pour le combat . article premier. De la maniéré de lever les troupes, O N leve les troupes par engagement avec capitulation , fans capitulation,, par force quelquefois , & le plus fou- vent par supercherie, 16 - Mémo r s e s. Quand on fait des recrues avec Cá* pitulation j il' est injuste & inhumain de ns la pas tenir ; parce que ces hommes croient libres lorsqu’ils ont contracté rengagement qui les lie ; Òc il est con-, tre toutes les loix divines & humaines » de ne leur pas tenir ce qu’on leur a promis. On n’en fait cependant rien ; qu’en aríiye-t-il ? Ces gens désertent peut- on z avec justice, leur faire leur procès ? On a violé la bonne foi qui rend les conditions égales. Si on ne fait point d’actes de sévérité, on perd la discipline militaire; & , fi on en fait, on commet, des actions odieuses. II se trouve cependant plusieurs soldats, au commeii- cement d’une Campagne, dont le temps de servir est fini les capitaines, quiveu- lent être complets , les entraînent pan force de-là on tombe dans le cas que e viens de dire. Les levées qui se font par supercherie font tout aussi odieuses ; on naet de Mémoires. 17 l’argent dans la poche d’un homme, & on lui dit qu’il est soldat. Celles qui se fontpar force le sont encore plus j c’eft une désolation publique, dont le bourgeois & l’habitant ne se sauvent qu’à force d’argent >, & dont la cause est toujours un moyen affreux. Ne vaudroit-il pas mieux établir, par une loi, que tout homme , de quelr que condition qu’iì fût, seroit obligé de servir son prince & sa patrie pendant àq ans? Cette loi ne sçauroit être désapprouvée ; paree qu’il est naturel & juste que les citoyens s’emploient pour la défense de l’État. En les choisiflant entre vingt 8c trente ans, il ne résulte- roit aucun inconvénient. Ce sont les années du libertinage, oh la Jeunesse va chercher fortune , court le pays , & e st de peu de soulagement à ses parens. Ce ne seroit pas une désolation publique ; parce que l’on seroit sûr que, les ssmq années révolues, on seroit congé- i S Mémoires. dié. Cette méthode -de lever des troupes seroit un fonds inépuisable de belles & bonnes recrues, qui ne seroient pa§ sujettes à déserter. L’on se seroit même, par la suite , un honneur & un devoir de remplir sa tâche. Mais, pour y parvenir, il faudroit n’cn excepter aucune condition, être sévère fur ce point, & s’attacher à faire exécuter cette loi, par préférence aux nobLs & aux riches. Personne n’enmurmureroit. Alors ceux qui auroient servi leur temps verroient avec mépris ceux qui répugneroient à ' cette loi, & insensiblement on se seroit un honneur de servir le pauvre bourgeois seroit consolé par l’exemple du riche ; & celui-ci n’oseroit se plaindre, voyant servir le noble. La guerre est un métier honorable. Combien de princes ont porté le mousquet ! & à combien d’officiers n’ai-je pas vu le reprendre, après une réforme j plutôt que de vivre dans une condition vile ! Ce n’est donc Mémoires. ' 19 que la mollesse qui feroitparoître à quelqu un cette loi dure. Quel spectacle nous présentent aujourd’hui les nations ? On voit quelques hommes riches, oisifs & voluptueux, qui font leur bonheur aux dépens d’une multitude qui flatte leurs passions, ôc qui ne peut subsister qu’en leur préparant sans cesse de nouvelles voluptés. Cet assemblage d’hommes oppresseurs & opprimés forme ce qu’on appelle 'la société ; ôc cette société rassemble ce qu’elle a de plus vil & de plus méprisable, & en fait ses soldats. Ce n’est pas- avec de pareilles mœurs, ni avec de pareils bras, que les Romains ont vaincu, l’univers. Mâis toutes les choses ont un bon & un mauvais côté. II est certain qu’iî n’y arien de si avantageux pour la bonté des troupes, que d’obliger les provinces à fournir les recrues ; mais il en résulte un grand inconvénient, qui est 20 Mémoire s. que les officiers n’ont aucun foin de leurs soldats. J’ai vu presque toujours périr chez les Impériaux une grande moitié des recrues, quelquefois les trois quarts cela vient du peu d’attention que les officiers font à la conservation du soldat. S’il tombe malade j ils 3e laissent périr faute de secours,, parce qu il en conte pour le soigner. Il y a un remede à cet abus, qui est bièn simple ; e’est de faire payer les recrues aux officiers. II faut que les provinces les fournissent ; mais les officiers dis-je, doivent les payer & cet argent' doit retomber dans la caisse militaire ; ce qui ne laide pas que de faire un obipt, & tend à la conservation. Car supposé qu’il saille vingt mille recrues dans une armée , & que le capitaine soit obligé de payer cinquante livres par chacune H en reviendra un million dans l'épar- gne militaire , & il s’en faudra bien qu K. £État y perde tant d’hommes. Mémoires 2î Cette manière de lever des troupes est très-bonne dans des États bien peuplés , comme est la France, Se qui peuvent se passer d’étrangers. Il y a des puissances , il est vrai, qui font obligées de recruter chez toutes les nations mais ne pourroient - elles pas aussi former une milice nationale fur pied? Et ces puissances, qui font dans la nécessité de former la plus grande partie de leurs armées d’étrángers, ne font- elles pas bien plus obligées à tenir la capitulation qu’elles ont faite a ces recrues étrangères, qu’à leurs propres sujets? Ce feroit, assurément, le moyen d en trouver facilement. ARTICLE SECOND. De íhabillcmcnt. N otre habillement est trés- coûteux, & très-incommode ^ le soldat 22 Mémoire s. n’est ni chaussé , ni vêtu, ni couvert. L’amour du coup d’œii l’emporte sur Jes égards que l’on doit à la santé, qui est un des grands points auquel il faut faire attention. En campagne, les cheveux font un ornement très-fale pour le soldat ; He quand la saison pluvieuse est une fois arrivée , fa tête ne se sèche plus. Son habit ne le couvre point. A l’é- gard des pieds, il n’en est pas question ; les bas-, les souliers & les pieds pourrissent ensemble , parce que le soldat n’a pas de quoi changer ; &, quand il Tau. roit, cela ne lui servìroit de rien, parce qu’un moment après il seroit dans le même état. Ge pauvre soldat est donc bientôt envoyé à l’hôpital. Les guêtres blanches ne font propres que pour un jour de parade , & le ruinent en blanchissage cette chaussure est très-incommode, très - mal - faine 9 de nulle utilité, & très-coûteuse. Le MemOïRES. 2 z. chapeau perd bientôt sa forme & sa grâce il ne sçauroit résister aux fatigues & aux pluies d’une campagne, il est bientôt percé ; &, dès que le soldat est couché, il lui tombe de la tête ; cet homme , accablé de lassitude , s’endort a la pluie Le au serein , la tête nue ; S c le lendemain il a la fièvre. Je voudrois que le soldat eût les cheveux courts ; & qu’il eût une petite perruque de peau d’agneau d’Es- P a gne, de couleur grisaille ou noire, qu’il mettroit lors des mauvais temps. Cette perruque imite les cheveux naií- sans au point de s’y tromper, Ôt coeffe très-bien , quand la coupe en est bien faite ; elle coûte environ vingt fols, & on n’en volt pas la fin. Cela est très- chaud, garantit des rhumes & des fluxions , 8c a tout-à-fait bonne grâce» Au lieu de chapeau, je leur voudrois des casques à la Romaine ; ils ne pèsent pas plus, ne font point du tout incom- 24 M H M O I H E S. modes, garantissent du coup de sabre , & font un ornement. Je voudrois qu’il fût vêtu de manière qu’il eût une veste un peu ample , avec une petite veste de dessous en forme de gillet *, un manteau à la Turque a-vec un capuchon * * . Ces manteaux couvrent bien , & ne contiennent que deux aulnes & demie de drap , pesent peu , & coûtent peu. Ils mettent la tête & le col du soldat à couvert de la pluie &4u vent; & , lorsqu’il est couché , il est conservé & a le corps sec ; parce habillement ne colle point, & le soldat le seche à l’air, dès qu’il fait un moment de beau temps. Il n’en est pas de même d’un habit ; car dès qu’il est mouillé, le soldat en * Presque toute la cavalerie Allemande est habillée de même. A la vérité , àquoíscrcà un habit ce que nous appelions les pans ou les plis» lorsque l’on a un manteau pour se garantir du froid & dt L\ pluie? ** Ces manteaux ne doiycntpas passer le haut da gras de la jambe. ressent X Mémoires. 2 5* ressent l’humidité jusqu’à la peau , & il faût qu’il lui seclie sur le corps. L on ne doit donc pas être étonné de voir tant de maladies dans une armée ; les plus robustes y résistent le plus longtemps mais à la fi n il faut qu’ilssuc- combent. Si l’on ajoute à ce que je viens de dire , le service que sont obligés de faire çeux qui se portent encore bien , pour ceux qui sont malades - morts, ou blessés , pu qui ont déserté ; on ne doit pas être étonné devoir, à la fin d’une campagne , des bataillons réduits à cent hommes. Voil a comme les plus petites choses influent fur les plu§ grandes. Mais je reviens à mes manteaux. Comme ils contiennent peu d’étoffe , & qu’ils font légers > ils peuvent se rouler & s’atta- cher le long de la giberne fur le dos ; ce qui ne fait point du tout un vilain effet > St le soldat lorsqu’ìl est sous les B 26 Mémoires, armes, & qu’il fait beau, a toujours l’air ingambe & leste. Ces manteaux peuvent durer trois à quatre ans ainsi Thabillement seroit moins coûteux, plus sain , & pour le moins auffi parant. Quant à la chaussure , je voudrois que les soldats eussent des souliers d’un cuir délié , avec des talons bas ; ce qui chausse parfaitement biep , & fait marcher de meilleure grâce ; parce que les talons bas font porter la pointe du pied en dehors, tendre le jarret, ôc effacer par conséquent les épaules. II faut qu’ils soient chauffés à nud fur le pied, & graissés avec du suif ou de la graisse. Les damerets trouveront cela bien étranger mais l’expérience fait voir que tous les vieux soldats-François en usent ainsi, parce qu’avec cette précaution ils ne s’écorchent jamais les pieds dans les marches ; & l’humidité ne les pénètre pas si aisément, parce qu’elle ne prend pas fur la graisse ; le Mémoires. zj cuir du soulier ne se racornit point, & ne sçauroit blesser. Les Allemands, qui font porter à leur infanterie des bas de laine , ont toujours une quantité d’estropiés, parce qu’il leur vient des ampoules, des loups, & toutes sortes de maladies aux pieds & aux jambes, la laine envenimant la peau d’ailleurs-, ces bas se percent par les bouts, restent humides, & pourrissent avec les pieds. A ces escarpins, il faut ajouter des guêtres d’un cuir délié, chaussées aussi à nud fur la jambe. Les culottes doivent être de peau, lesquelles arrêteront les guêtres avec des boutons au-dessus du genouil ; moyennant quoi, l’on évite les jarretières ; ce qui n’est pas une petite affaire. Les soldats en ont jusqu’à trois, l’une fur j’autre ; une pour tenir le bas, l’autre pour fermer la culotte, & la troisième pour arrêter les guêtres ; ce qui est un vrai martyre , & leur gâte le nerf. 28 Mémoires. A cette chaussure, il faut ajoutes des sandales ou galoches, semelées de bois de l’épaisseur d’un pouce ce qui empêche les pieds de se mouiller dans les boues ni à la rosée, & surtout lorsque le soldat est en faction *. Dans les temps secs, pour les combats & pour la parade , on les leur fe- roit quitter au premier de novembre on leur donneroit de gros bas de laine, qu’ils chausseroient par dessus les souliers & la guêtre, lesquels seroient aussi arrêtés par le haut. Ces bas seroient semelés d’un cuir mince, qui remontât un peu fur les côtés & fur le bout du pied, pour être ensuite chaussés dans les sandales. * Beaucoup de soldats François font eux-mêmes $e ces galoches, en iiyver, avec leurs vieux souliers, Mémoires. 2 - ARTICLE TROISIEME. De Ventretien des troupes. I L est avantageux , pour 1s bon ordre , pour le ménage , & pour la santé , de faire faire ordinaire aux troupes le soldat ne devient point libertin, me joue pas son prêt, & est très-bien nourri. Mais cela ne laisse pas que d'a- voir ses inconvéniens ; parce que le soldat se tue , après une marche, à aller chercher du bois , de l’eau , &c. il devient maraudeur ; il est toujours sale & mal-propre ; son habillement se perd à porter, d’un camp à l’autre , toutes les choses nécessaires à son ménage; & sa santé s’altère par toutes les fatigues que cela lui cause. Mais aussi il y a un remède à ces inconvéniens. Comme je dispose mes troupes en centuries, je voudrois qu’il B iij Z c> Mémoires. y eût à chacune un vivandier, avec quatre chariots attelés de deux bœufs chacun ; qu’il y eût une grande marmite , pour faire la soupe à toute la centurie , & que l’on donnât à chaque soldat fa portion, à midi, en soupe avec du bouilli, & le soir en rôti, dans une écuelle de bois à chacun. Ce se toit aux officiers à voir qu’on ne les trompât point, & qu’ils n’eussent pas à se plaindre. Le gain qu’il seroit permis aux vivandiers de faire, seroit sur la boisson , le fromage, le tabac , les peaux qui lui resteroient des bestiaux qu’ils auroient tués , &c. Les vivandiers prendroient les bestiaux aux vivres; &, lorfqu’on se trouveroit dans un lieu où il y auroip des légumes, l’on yenverroit avec ordre. Cela paroît d’abord un peu difficile à arranger ; mais, avec un peu d’at- tention, tout le monde doit y trouver Mémoires. 31 son compte. .Lorsque les soldats iroienc en détachement, ils prendroient pour un ou deux jours de rôti avec eux; cela ne fait point d’embarras. II faut plus de bois, d’eau & de chaudrons, poux faire la soupe à cent hommes,qu’il n’en fau- droit pour mille, de la façon dont je le propose ; & la soupe n’est jamais si bonne. D’ailleurs, les soldats mangent toutes sortes de choses mal-saines, qui les font tomber malades, comme du cochon , du fruit qui n’est pas mûr ; & i’officierne sçauroity avoir l’œil, comme il feroit à une seule marmite où il y en auroit toujours un présent, à chaque repas, pour voir si les soldats n’ont pas lieu de se plaindre. Lorsqu’il y auroit des marches forcées, ou que les équipages ne pourroient pas joindre, on distribueroit des bestiaux aux troupes , & les soldats feroient des broches de bois pour rôtir leur viande ; cela ne fait point d’embarras, & ne dure B iv H 2 M E M O I R,E S. que quelques jours. Que l’on balance notre méthode avec celle-là, & l’on verra quelle est la meilleure. Les Turcs en usent ainsi, & sont parfaitement bien nourris auffi distingue-t-on bien leurs cadavres, après les batailles, d’avec ceux des troupes Allemandes, qui font baves & décharnés. Cela a auffi un autre avantage, dans certains cas on ménage la bourse du maître , en leur donnant leur prêt en entier, & en leur vendant des vivres. II y a des pays, comme la Pologne & l’Allemagne, qui fourmillent de bestiaux lorsqu’on demande aux habitans des contributions, pour qu’ils puiflent les soutenir , on prend moitié en vivres, moitié en argent , & on vend les vivres aux troupes ainsi la paye du soldat fait une navette continuelle, &c il se trouve qu’on a de l’argent & des contributions de reste. Il en résulte encore une grande utilité , lorsqu’on a été obligé de faire des Mémoires* zz magasins, & qu’il est temps de les consommer. On y envoye des troupes; fur quoi il y a toujours beaucoup moins de perte pour le maître, fans que les soldats aient lieu de s’en plaindre. Ir ne faut jamais donner de pain aux soldats en campagne , mais les accoutumer au biscuit ; parce qu’il se conserve cinquante ans & plus dans les magasins , & qu’un soldat en emporte aisément avec lui pour sept ou huit jours il est sain il n’y a qu’à s’informer'à des officiers qui aient servi chez les Vénitiens , pour sçavoir le cas qu’on en doit faire. Celui des Moscovites , qu’ils nomment foukari , est le meilleur de tous, parce qu’il ne s’émiette pas ii est quarté, de la grosseur d’une noisette; & il ne faut pas tant de chariots pour le transporter, qu’il en faut pour le pain- Les pourvoyeurs des vivres font accroire , tant qu’ils peuvent, que le pain vaut mieux pour le soldat ; mais B v 34 M e m o t r e y; ceìa est faux , & ce n’est que pour avoir occasion de friponner, qu’ils cherchent à le persuader. Iìs ne cuisent leur pain qu’à moitié, & y mêlent toutes fortes- de choses mal-saines , qui, avec la quantité d’eau qu’il contient, augmentent du double le poids» & le volume- Outre cela, ils ont un train de boulangers » de valets, de chariots & de. chevaux, fur quoi ils gagnent beaucoup. Tout ce train est embarrassant dans une armée ; il leur faut des quartiers , des moulins & des détachemens pour les garder. Enfin , l’on ne fçau- roit croire les voleries qui se commettent ; les troubles qui naissent de toutes ces choses , les maladies qui résultent du mauvais pain , les fatigues que cela cause aux troupes , dans quel embarras ceìa jette un Général, & quelles en font les suites. La certitude dans laquelle l’ennemi est presque toujours de ce que vous allez faire par Mémoires. 3 y ì’arrangement de vos fours & de vos cuissons, me suffira pour n’en pas dire davantage. Si je voulois m’amufer à prouver tout ce que j’avance , par des faits, je n’aurois pas sitôt fini; mais je fuis persuadé que l’on éprouve beaucoup de mauvais succès, dont on attribue la cause à autre chose, qui proviennent cependant de celle-là. Il faut même accoutumer quelquefois les soldats à se passer de biscuit, & leur distribuer du grain , qu’il faut leur apprendre à cuire sur des palettes de fer, après savoir broyé & réduit en pâte. M. le maréchal de Turenne dit quelque chose à cet égard, dans ses' mémoires ; & j’ai oui dire à de grands» capitaines que, quand même roient du pain , ils en laisseroient quelquefois manquer aux troupes, afin de les accoutumer à sçavoir s’en passer,- J’ai fait des campagnes de dix-huit mois; avec des troupes qui y étoient accou- z6 Mémoires. tumées, fans que j’aie entendu murmù- rer j’en ai fait plusieurs autres avec des troupes qui n’étoient point accoutumées à se passer de pain; dès qu’il man- quoit un jour , tout étoit perdu cela faisoit que l’on ne pouvoit faire un pas en avant, ni aucune marche hardie. Pour la viande , on est toujours à portée d’en avoir ; parce que les bestiaux suivent par-tout, & le transport n’en coûte rien. Je ne sçais pas même comment on peut en manquer. Que l’on compte qu’un bœuf pèse cinq cent livres , qu’on donne une demi-livre de viande à chaque homme, alors un bœuf nourrira mille soldats cinquante mille hommes consommeront donc cinquante bœufs par jour. Supposé que la campagne dure deux cens jours, cela ne fait jamais que dix mille bœufs, qui suivent & pâturent par-tout ; l’on en fait différens dépôts, qu’on fait avancer à mesure^ qu’on en a besoin. s Mémoires, ^7 Je ne dois pas passer ici sous silence un usage établi chez les Romains, par lequel ils-préyenoicnt les maladies & les mortalités , qui se mettent dans les armées par les cbangemens de climats» On doit aussi attribuer à cet usage, une partie des prodigieux succès qu’íls ont eus. Un grand tiers des armées Allemandes périt en arrivant en Italie , & en Hongrie. En 1718, presque en sortant des quartiers , nous entrâmes au nombre de cinquante mille hommes dans le camp de Belgrade * il est fur une hauteur , l'air y est sain , l’eau de source y est bonne, & nous avions abondance de toutes choses le jour de la bataille, qui étoit le 18 Août, il ne" se trouva que vingt-deux mille com- battans fous les armes tout le reste étoit mort, ou hors d’état d’agir. Je pourrois citer de pareils événenaens * * M. le maréchal fit cette campagne comme to- lontaire, Z 8 Meiìíoires. chez d’autres nations c'est le chafigé- ment de climat qui en est la cause. L’on ne volt point de ces exemples chez les Romains , tant que le vinaigre ne leur manqua pas mais dès que Yacetum leur manquoit, ils étoient sujets aux mêmes accidens que nos troupes le font à présent. C’est un fait auquel, peut- tre, peu de personnes ont fait attention, & qui cependant est d’une grande conséquence pour les conquérans & pour les succès. Quant à la maniéré de s’en servir , les Romains faisoient distribuer le vinaigre par ordre chaque soldat avoit sa portion , qui lui servoit plusieurs jours, & il en versoit quelques Routes dans l’eau qu’il buvoit. Je laisse aux médecins à pénétrer les causes d’un effet si salutaire ce que je rapporte est usait bien MEMOIRES. Z- ARTICLE QUATRIÈME, De la paye. S a ns entrer dans Le détail des différen tes payes, je dirai seulement que la paye doit être sorte il vaut mieux avoir un- petit nombre de troupes bien entretenues & bien disciplinées, que d’en avoir beaucoup qui ne le soient pas ce ne font pas les grandes armées qui gagnent les batailles , ce font les bonnes. L’éco- nomie ne peutêtre poussée qu’à un certain point; elle a ses bornes , après quoi elle dégénéré en lésine. Si vous ne donnez pas des appointemens honnêtes aux officiers, vous n’aurez que des gens riches qui servent par libertinage , ou des misérables dont le courage est abbatu. Je fais peu de cas de la plupart des premiers ; parce qu’ils ne tiennent pas aù mai-être, ni à la ri- 4o Mémoires. gueur de la discipline ; leurs propos font toujours séditieux, & ce ne sont que de francs libertins. Les seconds font si abbattus, que l’on n’en sçauroit attendre grahde vertu leur ambition est bornée ; parce que l’objet qu’ils ont devant eux ne les intéresse guères 7 je veux dire l’avancement; &, misér rables pour misérables, ils aiment autant rester ce qu’ils font ; surtout lorsque le grade leur devient à charge. L’eípérance fait tout endurer & tout entreprendre aux hommes ; si vous la leur ôtez, ou qu’elle soit trop éloignée , vous leur ôtez l’amé. II faut que le capitaine soit mieux que le lieutenant ; ainsi de tous les grades. II faut que le pauvre gentilhomme regarde comme une fortune très-considérable , & non- comme une charge d’avoir un régiment; & qu’il soit moralement fur de parvenir par ses aélions & ses services. Lorsque toutes ces choses sont bien com- Mémoires. 41 passées , vous pouvez contenir vos troupes dans la discipline la plus austère. II n’y a de vraiement bons officiers que les pauvres gentilshommes qui n’ont que la cape & l’épée ; mais il faut qu’ils puissent vivre honnêtement de leur emploi. L’homme qui se voue à la guerre doit la regarder comme un ordre dans lequel il entre ; il ne doit avoir ni connoître ► d’autre domicile que fa troupe, & doit se tenir honoré de son emploi. Un jeune homme de naissance regarde comme un mépris que la cour fait de lui, si elle ne lui confie pas un régiment à sage de dix-huit ou vingt ans. Cela ôte toute émulation au reste des officiers , Sc à toute la pauvre Noblesse , qui est presque dans la certitude de ne pouvoir jamais avoir de régiment, & par conséquent les postes les plus considérables, dont la gloire puisse la dédommager des peines Sc dessoufíran- 42 M E M O I K E $. ces d’une vie laborieuse, qu’elle sacrifie avec confiance à un avenir flatteur, & à la renommée. Je ne prétends pas, pour cela, que l’on ne puisse marquer quelque préférence à des Princes j Ou autres personnes d’un rang illustre ; mais il saut que cette marque de préférence soit justifiée par un mérite distingué. Alors on peut leur faire la grâce de leur permettre d’acheter un régiment d’un pauvre gentilhomme que les infirmités ou Page mettent hors d’état desservir; & c’est une récompense pour ce pauvre gentilhomme , ou cet officier de fortune. Mais ce seigneunriche ne doit pas, pour cela, être en droit de revendre fa troupe à un autre on lui a sait assez de grâce en lui permettant de Tacheter; & elle doit redevenir le prix des services & de la vertu. ARTICLE CINQUIÈME. De l’exercice. CZj 5 e s t une chose nécessaire que l’exercice ou maniement des armes, pour dégager le soldat, & le rendre adroit mais on ne doit pas y mettre toute son attention. C’est même de toutes les parties de la guerre, celle à laquelle il en faut faire le moins; fi l’on en excepte celle d’éviter les mouve- mens qui font dangereux , comme de faire porter le fusil fur le bras gauche,' & de faire tirer par pelotons; ce qui a souvent causé des défaites honteuses. Apke’s cette attention, le principal de l’exercice font les jambes, & non pas les bras. C’est dans les jambes qu’est tout le secret des manœuvres, des combats; & c’est aux jambes qu’il faut s’appliquer. Quiconque fait autrement ^•4 Mémoire s en faisant feu de temps en temps, jusqu’à ce qu’il soit arrivé dans les intervalles des bataillons, lesquels doivent déjà être en mouvement. Selon cette disposition, le capitaine des armés à la légere doit avoir arrangé ses gens , de maniéré qu’ils se placent par dix Mémoires. 87 tîans îes intervalles des bataillons. Les régimens pendant ce temps-là, doivent avoir doublé les rangs , en faisant un mouvement en avant, pour se mettre sur huit de hauteur. II doit y avoir , à trente pas derriere chaque régiment, deux troupes de cavalerie, de trente maîtres chacune. Le tout marchant en avant d’un pas léger, comme on le suppose , l’enne- mi doit en être décontenancé. Que fe- ra-t-il ? Rompra-t-il ses bataillons, pour prendre ces centuries par les flancs ?II ne le peut, ni ne l’ose ; parce que les intervalles ne sont que de dix pas, & qu’ilssont occupés parles armés à la légere ; outre cela, les armes de longueur s'y croisent. Comment ré- fistera-t-il donc n’étant qu’à quatre de hauteur ,- après avoir été harcelé par les armés à la légere , s’il rencontre des gens tous frais, qui, fur le même front, se trouvent à huit, ôc quV viennent ra- s§ Mïmoire j; pidement sur lui, qui doit être emKar-» rafle d’aiileurs par un grand flottement y & qui à peine à se mouvoir ? II-y a apparence qu’il sera battu &, dans le moment qu’il lâche le pied, il est perdu fans ressource ; car les armés à la légere, se mettant à ses trousses avec les deux troupes de cavalerie, ils en doivent faire une furieuse destruction. Ces foi- .xante-dix cavaliers, & ces soixante-dix armés à la légere, doivent détruire un bataillon qui fuit, en un moment, 6c avant qu’il ait eusse temps de faire cent p^s. Les centuries doivent toujours demeurer en ordre, pour recueillir leur cavalerie & leurs armés à la légere ; elles doivent être prêtes à recommencer une nouvelle charge- Je ne puis ni’empêcher de me flatter & de croire que, de toutes, les dispositions , c’est la meilleure 8c la plus belle pour un jour de combat. Mais, me dira-t-on, on lâchera,de Mémoires. 89 la cavalerie sur vçs armés à la légere. On ne l’oíeroit. Mais tant mieux, si cela arrive. Ne sont-ils pas à même de l'e retirer ? Et cette cavalerie peut-elle subsister entre moi & l'ennemi ? Tirera- t-il sur ces soixante-dix hommes éparpillés le long du front de mon régiment? Ceseroit tirer sur une poignée de puces. Ah ! les ennemis feront la même chose, & auront auffi des armés à la légere. Voilà donc ce qui prouve- roit la bonté de mon système , si cela les incommode au point qu’ils soient obligés de m’imiter mais ce ne fera qu’après savoir bien appris à leur dépens , & après avoir été bien étrillés pendant deux ou trois campagnes , qu’ils s’en aviseront ; & ils n’opposeront que de nouveaux armés à la légere aux miens qui seront bien exercés à cette manœuvre. Mais par où fe- ront-ils retirer ces armés à la légere pu ces grenadiers ? Sera-ce fur les aï- £o Mïmoieh; les, en faisant un mouvement tout le long de leur front, oh il n’y a point ^'intervalles f Je dois avant que définir ce chapitre, faire un petit calcul du feu de mes armés à la légere. Supposons qu’ils commencent à tirer de trois cens pas de distance, qui est celle à laquelle ils font exercés ils pourront donc tirer l'efpace du temps qu’il faut à l’ennemi pour faire ces trois cens pas ; & il leur faudra toujours six à sept minutes. Or un armé à la légere peut tirer six coups par minute ; mais mettons qu’il n'en tire que quatre. Chacun aura donc tiré trente coups, avant que le bataillon ennemi ait fait les trois cent pas. De-là, il est clair que chaque bataillon aura essuyé , avant le choc, deux mille coupspourle moins ; & de qui ? De gens qui passent leur vie à tirer d’une plus grande distance au but, qui ne font point serrés, qui tirent à l’aife & ne font point contraints par le Mémoires. pi ïommandement de faire feu, ni par l’at- titude gênante qu’on leur fait tenir dans ìes rangs , où ils se poussent, s’empê- chent de voir & d’ajuster leur coup. Je tiens qu’un coup tiré par un armé à la légere, ainsi exercé , en vaut bien dix tirés par un autre. Et si l’ennemi est en front de bandiere , il essuiera plus de quatre à cinq mille coups de fusils par bataillon, avant que nous nous soyons abordés. Qu’on ne croye pas que trois cens pas soient une trop grande distance un fusil à secret porte quatre cens pas de but en blanc; & si vous l’élevez à vingt ou vingt-cinq degrés, il portera au-delà de mille pas. A cela, je joins le feu des armes que j’ai nommées amuscttes. J’ai déja dit qu’il ne failoit que deux ou trois soldats pour en mener une & la servir; à quoi je destine les capitaines d’armes, avec des soldats que l’on prendra dans char que centurie. §2 M E M O I R fe Si Ces amusettes doivent Te mener est avant, avec les armés à la légere, un jour de combat. Comme elles tirent au- de-là de trois mille pas, elles doivent causer un furieux dommage à l'ennemî lorsqu’il se forme , soit au sortir d’un bois, d’un défilé ou d’un village, quand il marche efi colonne, & qu’i-1 se met en bataille ; ce qui prend du temps. Or, ces amusettes peuvent tirer au-delà de deux cens coups par heure. J’en mets une par centurie on peut y joindre celles de la seconde ligne, & les rassembler toutes fur une hauteur l’effet qu’elles produiront sera considérable. Les capitaines d’armes doivent être exercés à tirer avec l’amusette elle est infiniment plus juste que le canon ; & tire plus loin. Comme il y en a quatre par régiment, il y en aura seize par légion ces seize machines rassemblées un jour de comb at, feront taire dans un, moment une batterie ennemie» Mémoires. 5*5 • "Les nombres pairs, Sc ìa racine quarrée , doivent être un principe fur lequel il faut tabler pour la composition des corps de mon infanterie, & dont on ne doit jamais s’écarter ainsi il faut quatre centuries par régiment, quatre manipules ou pelotons par centurie , & quatre régimens par légion. A l’égard de mes piques, si quelqu’un trouve que , dans les endroits inégaux, escarpés, dans les pays de montagnes, ejles soient inutiles, je lui dirai qu’en ce cas on en est quitte pour les poser à terre ; mes soldats ayant leurs fusils en écharpe, alors ils s’en serviront. On me dira encore que cela est incommode à porter ; mais je ne ferai point de cas de cette objection insensée. Le soldat n’est-il pas obligé de porter des bâtops de tentes ? II n’y a qu’à faire faire les tentes de façon que les piques puissent servir de bâtons, en y attachant un cordon par le milieu. Qu’imr porte que le haut de la pique passe la 5>4 Mémoires, tente i Au contraire, cela fera un très- bel effet ; & même un ornement dans un camp. Ces piques, avec leur fer, nepefent que cinq livres, & ne fouettent pas comme les autres, parce qu’el- les font creuses les piques dont on fe senroit ci-devant pefoient jusqu’à dix- sept livres, & étoienttrès-incommódes à manier. Je soutiens qu’on peut tirer de grands services d’un tel corps, surtout si le Général légionnaire est un homme intelligent. Lorsque le Général de famée aura besoin d’occuper un poste , de barrer l’ennemi dans ses projets, enfin, en cent différens cas qui fe trouvent à la guerre , il n’a qu’à ordonner aune tellefégiónde marcher comme elle a tout ce qu’illui faut pour fe fortifier, elle peut, en peu de temps, se mettre hors d’infulte ; 8c, en quatre à cinq jours, elle doit être en état de soutenir un siège , ôc d’arreter une ar- Mée ennemie* Mémoires. Le projet de fortifications que j e donnerai çi-après en démontrera la possibilité. Cette disposition de l’infanterie me paroît d'autant plus convenable, qu’elle est juste dans toutes ses parties ; & la réputation de la premiere, seconde ou troisième légion , fera impression furies autres, & même chez l’enne- mi. Un corps pareil fait cause commune de sa réputation; il sera toujours ému. du désir d’égaler ou de surpasser celle d’un autre. Les actions d’un corps qui a un nom stable s’oublient bien moins que celles de ceux qui portent le nom de leurs officiers ; parce que ces noms changent, & que les actions s’oublient avec eux. D’ailleurs, il est dans le cœur de f homme de s’intéresser moins aux choses qui regardent moins son semblable, qu’à celles qui lui font pe» formelles, dès qu’on s’en fait une honneur or cet honneur est bien plus aií I §6 Mémoires. à faire naître dans un corps qui porte son nom avec lui, que dans un autre qui porte celui du colonel j lequel bien souvent n’est pas aimé. Bien des gens ne sçavent pas pourquoi tous les régimens qui portent les noms de provinces en France ont toujours si bien fait; ils disent pour toute raison c*est l’esprit du corps. Ce n’en est pas une ; je viens de dire la véritable. Voilà comme les choses qui font le plus de conséquence roulent sur un point imperceptible. D’ailleurs, ces légions font une espece de patrie militaire, où îes préjugés des différentes nations se trouvent confondus ce qui est un j grand point pour un monarque, pour un conquérant ; car , partout où il trouve des hommes , il trouve des soir j dats. Ceux qui croyent que les légions i -Romaines étoient toutes composées stç Romains de R,pme même » se trompent Mémoires. pent fort ; elles l’étoient de toutes les Nations mais leur pied , leur discipline , & leur méthode de combattre , étoient meilleures que celles de leurs ennemis ; c’est pourquoi ils les ont tous vaincus ; & ce n’est que lorsque la discipline a dégénéré chez les Romains, Mhmoìkes. îôî ble, & à ne jamais se débander. Elle ne doit faire d’autre service , dans une armée , que celui des grandes gardes ; jamais d’efcortes, jamais de détache- mens éloignés , ni de courses ; & il faut la regarder comme la grosse artillerie , qui ne marche qu’avec farinée ; auítî ne doit-elle servir que dans les combats. Elle doit être montée fur des chevaux forts & épais les chevaux Allemands font les meilleurs ils ne doivent jamais être au-dessous de cinq pieds deux pouces. Les cavaliers doivent être armés de toutes pieces; & le premier rang doit avoir des lances, pendues à une courroie mince au pommeau de la selle. Ils doivent avoir une bonne épée , roide , à trois quarts, longue de quatre pieds ; une carabine ; point de pistolets ils ne fervent qu’à faire du poids ; des étriers en chapelets ; point E iij / 102 MEMOIRES, de selle , mais un arçon avec deux bâtîmes rembourrées, une peau de mouton noire par-dessus , qui sert de housse & de couverture, laquelle croise sur le poitrail. Pour cette cavalerie , il saut des hommes choisis, de cinq pieds six à sept pouces, élancés, & point ventrus. A l’égard des dragons, il en faut su moins le double ; mais les régimens doivent être composés de même, pour le nombre ^ & doivent avoir des chevaux qui ne soient pas au-dessus de quatre pieds huit pouces, ni au-dessous de quatre pieds six. L’exercice de ces dragons doit être rempli de célérité ; ils doivent sçavoir celui de l'infanterie en perfection. Leurs armes doivent être le fusil, l’épée , & la lance ; & ces lances doivent leur servir de piques , lorsqu’ils mettent pied à terre. Leurs selles & siamois seront comme ceux de la cavalerie. Les hommes dpi- Memoíres. Ï03 vent être petits, d’e la taille de cinq pieds à cinq pieds un pouce , pas au- dessus de deux. Ils se formeront par escadron à trois de hauteur, ainsi que la cavalerie, & devront marcher de même. Lorsqu’ils mettent pied à terre il faut qu’ils soient à rangs ouverts, qu’ils fassent tous à droite par demi- quart de rang ; ce qui forme un escadron de huit files. Ils sortent par ces files, après avoir occupé leurs chevaux, & se forment où. l’escadron faisoit front les hommes de la droite de ces huit files restent à cheval, ainsi que ceux de la gauche. Voilà, à peu près, les manœuvres qu’il faut leur apprendre , ainsi que je l’expliquerai plus au long i-après. Le troisième rang doit sçavoir voltiger , escarmoucher & toujours se rallier à l’escadron par les intervalles mais les premier 6c second rangs doi~ E iy 104 Mémoires. vent être inébranlables, & aussi solides que de la grosse cavalerie. Leurs fusils doivent être passés en écharpe. Ce font ces dragons qui doivent faire petit service de Farinée, courir les quartiers , faire les escortes , & aller à la guerre. Voilà, en général, ce qui concerne la cavalerie. II est maintenant à propos d’entrer dans un plus grand détail. ARTICLE SECOND. Des armures de la cavalerie. J E ne sçais pourquoi on a quitté les armures j car rien iFest si beau, ni si avantageux. L’on dira peut-être que c’est l’usage de la poudre qui les a abolis mais point du tout ; car , du temps de Henri IV, & depuis, jus- qu’en l’année i 66 j, on en a porté - & il y avoit déja bien longtemps que la Mémoires'. 10/ poudre étoit en usage mais vous verrez que c’est la chere commodité quí les a fait quitter. Il est certain qu’un escadron tous nud, comme on est à présent, n’au- roit pas beau jeu contre des gens armés de toutes pieces car par où prendroit- on ces hommes pour les percer ? II n’y' a donc d’autre ressource que de tirer- C’est un avantage très-grand de mettre la cavalerie dans cette nécessité ; & Cette idée mérite d’être examinée. J’ai fait faire une armure entiere de feuilles de tôle minces , appliquées fur un buffle très - fort, & elle ne pesois pas plus de trente livres. Cette armure est à l’épreuve de l’epée & de la pique je ne puis avancer qu’elle garantisse du coup de feu , surtout de celui qu’on nomme le coup de la baraque ; mais je puis assurer que tous les coups mal chargés , tous ceux qui font éventés- vu ébranlés par le mouvement du che- E v 1 06 Mémoires. val, ne percent point, non plus que tous ceux qui viennent de biais. Mais laiísons-là le feu celui de la cavalerie n’est pas fort redoutable ; & j’ai toujours oui dire que celle qui s’avisoit de tirer étoit battue. Si cela est, il faut donc tâcher de l’obliger à tirer. On ne le peut plus aisément, qu’en donnant des armures légeres, comme celles que je propose ; parce que ces hommes se trouvant invulnérables à l’épée , il faudra que l’ennemi prenne le parti de tirer. Qu’arrivera-t-il, s’il tire f Dès que la cavalerie , ainsi armée , aura essuyé ce feu , elle se jettera à corps perdu fur son ennemi; parce qu’elle n’a plus rien à craindre , & qu’elle désirera se venger du péril qu’elle a couru. Que feront ces hommes , pour ainsi dire tout nuds, contre d’aulres qui seront invul né râbles ? Car, pour peu qu’un homme se remue, je défie qu’on le tue. S’il y ayoit seulement deux régimens comme Memoikêsi cens livres quelquefois • l’on reste la nuit dehors 3 & il est impossible que lat Evj IZ2 M E M O I R 1 s cavalerie ne s’abysme à ne faire que ce métier-là. Si vous. marchez dans des chemins creux ou dans des défilés , qu’une trousse se rompe, qu’elle tombe , qu’un cheval s’abatte, voilà toute, la cavalerie, arrêtée. Cela arrive cepen» dant. à tout moment. Les autres chevaux ,. qui ne peuvent supporter, leurs, charges, s’inquiettent, ils toupillent. & se heurtent ; voilà tout aussi-tôt vingt, trousses à bas. Quand il pleut, les chevaux enfoncent,.glissent & s’abattent les trousses traînent dans les boues, le. dessus n’est bon qu’à jetter ; de façon qu’iï y a toujours un grand tiers- de perte. C’est une misere, en vérité iL vaudroit mieux ne rien donner aux chevaux , que de le leur faire payer si cher.. De la maniéré que je propose de fourager, il n’y a point de perte ni d’embarras y l’on n’estropie point les chevaux x & l’on ap orte plus de fou- JVÏ E M- O I R ËY. 13 3 rage au camp. A quoi l’on peut ajouter le désordre qui arrive , lorsque le eamp est éloigné, & que les fourageurs font attaqués; alors toutes les trousses se perdent. Mais le plus grand mat arrive dans la déroute ; car les fourageurs s’enfuient toujours, & alors Dieu fçait quelle confusion il-y a. S’ils trouvent un pont, un gué ou un défilé, vous les verrez fe précipiter par mit liers, fans aucune considération, comme de s bêtes effarouchées la peur leur trouble tellement les sens , qu’ils fe noient & s’écrasent les uns les autres. Suivant ma méthode , cela ne peut pas arriver ; & bien certainement L’en- nemi., averti de votre disposition, ne vous attaquera pas ; parce qu’il seroit certain de livrer, un grand combat de cavalerie, où il ne, trouveroit pas fou avantage , à moins qu’il ne vienne avec toute son armée or cela fe íçait, & ne, £e fait pas avec la même facilité qu’au- 134 Mémoires; roit un parti de cavalerie de s’embus- quer pour donner dans vos fourages. ARTICLE SIXIÈME, Des fourages au sec. C ette forte de fourage commence au mois de septembre. Pour le faire en sûreté , il faut pousser des partis en avant, & mettre de l'infanterie dans les villages ; les gardes de cavalerie doivent être au dehors, & l’escorte au centre , pour se porter dans l’endroit qui seroit attaqué. Lorsque le fourage est fait, on rassemble toutes les escortes , qui font l’arriere garde. Si l’on craint pour les flancs, on envoie des détachemens qui les côtoient, & occupent les passages, les gorges & les hauteurs, &c. Les cavaliers battent une partie de leur fourage , s’il est en grain z ils cou- Mémoires.; 13/ petit la paille par la moitié, & mettent le tout dans le sac. II n’y a point de perte, comme avec les trousses , oit tout le grain se répand par les chemins. ARTICLE SEPTIE’ME. Des tentes & de la maniéré de camper - de la cavalerie , J’A i dit que les lances dévoient servir de bâtons de tentes il est aisé de voir que toute une centurie ou escadron est à couvert sous une pareille tente, tant les hommes que les chevaux. II est d’une conséquence infinie pour la cavalerie que les chevaux soient à couvert & chaudement, sur-tout en automne, lorss que les nuits deviennent fraîches ; ce qui. est encore une des grandes raisons pour laquelle la cavalerie se fond à vue d’œil ,, èí devient à rien pendant cette saison.. M E S O I R ï S. Les chevaux, dis-je, seront sèchement & chaudement sous ces tentes , snr-tout si les cavaliers mettent quelques branchages 1 à l’entour , & y ba^ laient le fumier; ce qui formera une muraille autour de la tente. Avec ces précautions, les chevaux s’entretien- drônt avec la moitié moins de nourriture , & par conséquent ne seront pas si fatigués à aller chercher !e fourage. Par la même raison, farinée subsistera plus longtemps dans un pays, & elle tiendra la campagne bien plus longtemps que Pennemi, qui n’aura pas ces moyens ; ce qui me paroi t d’une assez grande conséquence, pour qu’on y fasse une sérieuse attention. II est certain que la plus grande partie du fourage se perd en fumier , parce que , lorsqu’il pleut, le cheval, en trépignant', fait de la boue sous lui • le cavalier, pour le soulager , lui fait une nouvelle îitiere ; mais, dans un moment, elle est réduite en- Mémoires. 137 boue. Le cheval ne peut pas se coucher dans l’eau, ìl reste les quatre pieds & la tête ensemble , se morfond, la colique le prend, & le voilà aufíi-tôt mort que malade. Sous ces tentes, on ne lui fait point de litiere, parce qu’il y fait sec z & par conséquent, on épargne au moins la moitié du fourage. Or, si l'on fait cette épargne , il n’en faut plus apporter que la moitié. Ainsi vous ménagez votre cavalerie, & vous subsistez plus longtemps dans un pays. Si toutes ces choses font bien combinées 8c bien pesées, l’on concevra aisément que ce que je propose est bon car , si l’on compare ma façon de soulager avec celle qui est usitée , les acci- dens qui arrivent, la perte qu’on fait fur le fourage en lui-même , la fatigue, le temps que je subsiste, & la maniéré -dont je me conserve, je crois que l’on . en fera bien convaincu. i%8 Mïmoishs, On me demandera peut-être, comment porter avec soi ces grandes tentes ? Avec des chevaux de bât. D’ail- leurs, on peut les faire de façon qu’el- les se démontent par pieces & par morceaux , & on peut en donner un à chaque cavalier. Elles contiennent près de cinquante aunes de toile moins qu'il n’en faut pour les tentes d’un escadron de cent trente hommes, suivant qu’on les fait aujourd’hui. Cela paroîtra extraordinaire ; mais ceux qui seront curieux n’auront qu’à calculer. ARTICLE HUITIE’ME. Des partis ou détachemens de la cavalerie léger e. L e pays où l’on fait la guerre doit décider de futilité & du succès des partis. Rarement les grands partis de cavalerie aboutissent à quelque choie de M E M O I R E S. I Z9 bon, à moins que ce ne soit pour faire quelqu’expédition prompte & vigoureuse , pour enlever un convoi, surprendre un poste, soutenir des partis d’infanterie que vous aurez poussés en avant pour couvrir votre marche ; alors ils font de grande utilité. Car, supposé que l’ennemi ait dessein d’attaquer votre arriere-garde ou vos équipages avec quelques détachemens considérables, il ne Tosera , si vous avez poussé un gros parti la veille de votre marche du côté opposé ; parce qu’il craindra de se mettre entre ce qu’il veut attaquer & ce détachement, qu’il sçaura bien sûrement être sorti, sans sçavoir positivement quelle route il tient, ni dans quel endroit il est. Les troupes de ces détachemens doivent toujours être de cinquante hommes , & le détachement toujours fort. II faut un homme habile & nourri à la guerre pour le conduire ; ôc c’est Í4 patience. Mémoires. *43 CHAPITRE QUATRIÈME. DìJJertation sur la grande manœuvre. J E suis persuadé que toute troupe qui n’est point soutenue est une troupe battue , & que les principes que nous a donnés là-deflus M. de Montecuculì, dans ses mémoires, font certains. II dit qu’il faut toujours soutenir l’insanterie Svec de la cavalerie , Sc celle-ci avec de l’insanterie. Nous n’en saisons cependant rien ; nous mettons fur les ailes toute la cavalerie , qui n’est soutenue ^ue par de la cavalerie ; Sc dans le cen- tre toute l’infanterie , soutenue par de ^infanterie. Eb,comment soutenue f De ^inq à six cens pas de distance. Par cette pofition feule vos troupes font intimidées, fans en sçavoir la raison ; car tout homme quj ne yoit rien derriere lui pour ,1e soutenir Sc le secourir,est à demi battu j 144 Mémoires.' & c’est ce qui fait que souvent la secon* de ligne lâche le pied, pendant que la premiere combat j’ai vû cela plus d’une fois, &, je pense, bien d’autres que moi l'ont vû auísi ; mais personne n’en a peut-être cherché la raison ; elle est dans le cœur humain. Voici ce que dit l’illustre Montecuculi à ce sujet dans íès mémoires. -> Dans les armées anciennes , cha- » que régiment d’infanterie contenoit » une certaine quantité de cavalerie » & d’artillerie de ces cavaliers , les j -> uns avoient des cuirasses, & les au- ! » tres étoient plus légèrement armés. j -> Pourquoi mêler ensemble plusieurs sortes d’armes dans un même corps , *> sinon pour faire voir l’extrême besoin y qu’elies ont l’une de l’autre , & les » secours qu’elles peuvent se donner ré- -> ciproquement ? Dans les ordonnait- » ces modernes, où toute l’infanterie » se met ordinairement au centre de la bataille , Mémoires; 14 f » bataille , & la cavalerie sur les ailes » qui s’étendent à plusieurs milliers de » pas ; en bonne foi, quels secours ces » deux corps peuvent-ils recevoir l’un » de l’autre f II est clair que les ailes » étant battues , l’infanterie , qui de- » meure abandonnée, est découverte » par les flancs, & ne peut manquer » d’être défaite, au moins à coups de » canon, si ce n’est autrement, comme » il arriva aux bataillons Suédois en » 1634. Les Suédois s’apperçurent de » la faute, quand leur cavalerie eut été » chassée du champ de bataille j 8 c , s> pour y remédier, ils mirent des pelo- 3» tons de mousquetaires entre les efca- » drons. Mais le remede n’étoit pas » suffisant ; parce que les escadrons *> étant rompus, il falloir que les pelo- » tons fussent passés au fil de l’épée ; -> ce qu’ils éprouvèrent, parce qu’ils 30 n’avoient point auprès d’eux de corps ? oh s e étirer, ni de piquiers qui Les G 14 6 Mémoires, » soutinífenti Eh , comment auroieht» » ils pu recourir à leur infanterie st éloi- » gnée d’eux ? » C’est pourquoi je mets de petites troupes de cavalerie à trente pas der-» riere mon infanterie, S c des bataillons quarrés , fraisés de piques , entre mes deux ailes de cavalerie, derriere lesquels elle puisse se rallier, au cas qu’elle soit battue ou repoussée. * Il est certain que ma cavalerie de la seconde ligne ne s’enfuira pas , tant qu’elle verra ces bataillons quarrés devant elle j & fa contenance rassur rera celle de la premiere ligne. Mes * On poiirroit objecter que fa propre cavalerie , venant à être repoussée par IVnnemi, se culbu- feroit en désordre íur cep bataillons quarrés. Mais on doit observer que M. le maréchal ne propose ces bataillons qu’à moins qu’ils ne soient fraisés de piques , avec lesquelles on peut résister au choc. Au reste, les intervalles qui font entre les bataillons quarrés font fi considérables , qu’il n’cst pas vraisemblable que Cette cavalerie , quelqu’épou- vantée qu’elle soit , aille se jetter sur ces bataillons > lesquels on pourroit encore couvrir de chevaux de frise roulans. M E M O I R 2 S. bataillons quarrés se défendront bien , parce qu’ils espéreront un prompt secours de la cavalerie , qui, à la faveur de leur feu & de leprs piques, repa- roîtra dans Pinstant , & voudra réparer en quelque façon la honte de fa défaite outre cela, ces bataillons couvrent les flancs de votre infanterie. In y en a qui veulent mettre de petites troupes d’infanterie dans les intervalles de la cavalerie ; cela ne vaut rien. La faiblesse de cet ordre intimide feule des troupes d’infanterie ; parce que ces pauvres misérables sentent qu’ils font perdus, fi la cavalerie qui s’est flattée de leur secours , dès qu’elîe fait un mouvement un peu brusque ce qui est de son essence , ne le voyant plus, est toute déconcertée. Si votre aile de cavalerie est battue , Pennemî vous prend tout à Passe en flanc, & cela dans le moment, D’autres gardent Piissantene avec Gij Mémoires. {les escadrons de cavalerie ; cela ne vaut rien du tout, parce que, quand l’in- fanterie ennemie vient vous attaquer , elle tire également fur ces escadrons, comme fur l’infanterie j il y a des chevaux de tués, la confusion se met bientôt partout, ces troupes de cavalerie lâchent le pied il n’en faut pas davantage pour faire tourner la tête à l’infan- terie, Sc la faire fuir auífi. Que feront ces escadrons ainsi plar çés ? S’abandonneront-ils fur l’infan- terie ennemie ? Ou bien resteront - ils comme des termes, combattant de pied ferme, l’épée à la main , contre des gens qui viennent les attaquer avec la bayonnette > Se à grands coups de fusil dans le nez? Veut-on qu’ils s’abandon- nent fur cette infanterie f S’ils font repoussés , comme il y a grande apparence , ils fe renverseront fur l’infanterie, & la mettront en désordre ; parce qu’ils retrouveront difficilement leur poste j Mémoires; & les intervalles étant petits, ferons assurément bouchés. Car il faut remarquer un inconvénient considérable dans lequel on tombe avec les bataillons for- ínés selon l’usage reçu lorsque les files se brouillent, soit par le mouvement , par le canon, ou par le doublement de s rangs , tout est en confusion ; personne n’est plus à son poste ; les divisions', leur ordre & leur nombre ne se trouvent plus; &il n’y a personne quî puisse démêler cette fusée. II n’en est pas de même avec mes centuries elles suivent chacune leur enseigne, & restent en troupe ; on les met facilement en ordre ; &, quand elles n’y seroient pas , le mal ne feroit pas grand, pendant qu’elles font guidées par les enseignes , lesquelles s’alignent fur celle de la légion les officiers rajustent les rangs ; ce qui ne se fait pas de même dans un bataillon. C’est un des grands défauts de la colonne du chevalier de G iij i ye Mémoires. Follarâ. Ceci me donne occafion d’en parler. De la Colonne. Bien que j’estime infiniment M. le chevalier Follard , & que je fasse grand cas de ses ouvrages , je ne puis toutefois me ranger à son avis fur les colonnes. Cette idée m’avoit d’abord séduit elle est belle, & paroi t dangereuse pour ì’ennemi ; mais l’exécution m’en a fait revenir. II faut que j’en fasse l’analyse , pour en faire connoître les défauts c’est une affaire de calcul bien aisé. II faut un pied sc demi, ou dix - huit pouces de distance , à un homme , quand il est en bataille. Les flancs de la colonne deviennent front or , de quelque façon qu’on veuille la faire cette colonne, ses flancs seront toujours composés, pour le moins, de quarante files de profondeur fur vingt-quatre rangs d’épaisseur. II faut, pour fa longueur, soixante Memoises. ÏJ’i pieds , íorfqu’elie fait face j dès qu’ellé marche 3 il lui en faut cent vingt, ce qui est le double de la distance qu’elle vient d’occuper ; parce qu’un homme ne fçau- foit marcher fur dix-huit pouces , à moins de piétonner , & qu'il lui faut trois pieds pour marcher de forte que, quand la tête de cette colonne marchera, la queue demeurera & , lorsque la tête sera arrêtée , la queue marchera encore l’efpace de soixante pieds ; ce qui fera dans les flans de votre colonne des vuides très- dangereux. Si on la fait plus longue , le défaut augmente toujours à proportion de fa longueur ainsi une colonne de deux cent quarante files auroit,pour fa position naturelle, trois cent soixante pieds de longueur ; &, pour pouvoir marcher, il lui en faudroit sept cent vingt. Que vous arrive-t-il, quand vous avez percé ? Vous faites à gauche &>à droite avee vos deux flancs, qui de- î$ò. Mémoires. viennent faces ,. pour prendre en flanc l’ennemi que vous avez percé, mais vous vous trouvez à files ouvertes , parcs que vous occupez justement une fois plus de terrein que vous ne devez ; ainíì il fe fait des trouées considérables, surtout fi vous avez fait ce mouvement brusquement, ce qui doit être le propre de la colonne. Le chevalier se trompe fort de croire qu’elle soit aisée à remuer c’est le corps le plus lourd que je connoiste , sur-tout quand il est à vingt-quatre d’é- paisseur. S’il arrive que les files se brouillent une fois, soit par la marche, l’iné- galité du terrein, ou par le canon qui doit y faire un furieux désordre, il n’y a tête d’homme qui puisse venir à bout de la remettre en ordre. Cette colonne devient alors une masse de soldats qui n’ont plus ni rangs, ni ordre, & où tout est confondu. . Je crois son] poids de peu de consé- Mémoires. ipz qùence quoiqu’en dise M. le cheva_ lier, les hommes ne se poussent pas ainsi les uns les autres de l’épaule ; bailleurs , ils ne sçauroient le faire , puis- qu’ils ont trois pieds de distance de l’un à l’autre , lorsqu’ils marchent. Dans la retraite , je la trouve meilleure que les bataillons quartés ; non qu’elle marche plus vîte , mais parcs qu’elle coule par-tout fans s’arrêter ; 8c que, s’il arrivoit qu’on la perçât avec de la cavalerie, on n’en seroit pas plus- avancé, parcs que l’on recevroit des- coups de fusil par derriere , & que la troupe seroit bientôt rejointe & refermée, Mais, pour cela , deux bataillons 1 „ dos à dos suffisent; je veux dire, qu! marchent en contre - marche , faisant front, quand il le faut, à droite & à gau-" che. Cette retraite ne peut se faire que trés-lentemerit, parcs qu’il faut sauver' la queue , qui, sans cela, íeroit bientôt séparée du corps, à cause des trois G- v i;'4 Mémoires; pieds qu’il faut au soldat pour marcher. Mais de croire que ce corps soit léger , & qu’il se remue aisément, c’est de quoi je suis bien revenu. Je le crois même dangereux à vingt-quatre & à seize d’épailseur, à cause du désordre qui s’y met quand on a à le former. II ne faut jamais faire la colonne que de deux bataillons d’épaisseur, à quatre de hauteur chacun ; ce qui ne dérange pas l’ordre naturel des bataillons. Ce que je viens de dire a u sujet des trois pieds de distance qu’il faut à un homme pour marcher, détermine la raison du danger qu’il y a à faire des mauve mens en contre-marche ; c’est-à- dire, de changer son front en flanc mouvement dont l’ennemi profite toujours , parce qu’il lui crève les yeux. Si vous le faites a portée de lui, pour regagner un intervalle , vous êtes perdu z car votre bataillon, occupera le Mémoires. iyy -double du terrein qu’il occupoit, & il .lui faudra le double de temps pour se remettre comme il doit être J parce que , supposé que votre bataillon contienne six cens hommes, il occupera un . terrein de deux cent vingt-cinq pieds si l’on fait un mouvement à droite , votre soldat de la droite aura fait deux cent vingt-cinq pieds avant que celui de la gauche ait encore bougé ; sc, quand celui de la droite fera arrêté , votre soldat de la gauche aura encore deux cent vingt-cinq pieds de distance à faire, avant que le bataillon puisse être en ordre, & faire face j ce qui fait .ensemble le temps qu’il faut pour faire quatre cent cinquante pieds , ou cent quatre-vingt pas. Si donc l’ennemi se .trouve à cent pas de vous , & qu’il vous prenne au pied levé , il s’en faudra le temps nécessaire pour faire quatre-vingt pas, que vous ne soyez en •ordre» i $6 Mémoires; Plus vous avez de troupes qui otït ce mouvement à faire, & plus il est dangereux ; car, st vous avez seulement quatre bataillons, vous êtes dans le même danger, l’ennemí fût-il à huit cens pas de vous. Cela est géométrique , aìirsi que bien d’autres choses à la guerre. Le taSf ou la cadence peut seul remédier à ces défauts, qui décident de tout dans les combats; & je me fuis exprès étendu fur cette matière , pour faire voir l’ïgnorance de nos militaires, & la conséquence du taéì car ils conviendront de tous ces défauts, fans savoir d’autre remede que de marcher lentement. On ne sçauroit faire charger un bataillon à quatre de hauteur seulement, que l’on ne tombe dans le cas que je viens de dire. A moins que l’on ne marche comme des fourmis, on arrivera toujours fur l’ennemì à rang» M E M O I K E s; ïj '7 ouverts quel défaut énorme ! C’est-là la source de la tirerie ; parce que , pour charger autrement , il faut marcher vîte , & ensemble ; & qu’on ne le peut., puisqu’en ne fcauroit marcher fur dix» huit pouces, fans le tact. Il est impossible aussi que les Romains & les Macédoniens aient pû combattre fans 1e tact ou la cadence , parce qu'ils étoient fur un ordre ferré &- profond» Tout le monde en a parlé ; mais personne n’en a pénétré , ce me semble, le secret. J’ai souvent été surpris qu’on ne s’appliquât pas à attaquer , par colonne, l’ennemi dans les marches. II est constant qu’une grande armée occupe toujours trois ou quatre fois plus de terrein dans la marche , qu’il ne lui err faut pour fe ranger, quoique I on fasse marcher furplusieurs colonnet. Si donc vous pouvez être averti de quel côté l’ennemi marche, que vous sçachiez; ï$$ Mémo i se s. ì’heure de son départ, quand il seroít à íix lieues de vous , vous arriverez toujours à temps pour l’attaquer ; car fa tête fera arrivée au camp qu’il veut occuper, avant que son arriere-garde soit sortie de celui qu’il quitte. • Il est impossible de pouvoir rallier des troupes fur une pareille distance , qu’il ne s’y fasse de grands vuides, & une confusion horrible. J’ai cependant vu faire ce mouvement bien souvent, sans que l’ennemi ait songé à profiter de l’avantage que lui fournissoit l’occasion ; & j’ai crû qu’on l’avoit enchanté. Il y auroit un beau chapitre à faire sur ce que je viens de dire. Car combien de diverses situations ne produit pas une telle marche ? En combien d’endroits ne peut-on pas l’attaquer, fans rien risquer ? Combien de fois une armée qui marche n’est-elle pas séparée par des ravins ; des rivières, des ruis- Mémoires, ipp seaux, &c ? Combien de situations ne vous mettent-elles pas à couvert d’une partie de cette armée qui marche ? Combien de fois n’êtes-vous pas en état, quoiqu’inférieur , d’en séparer une partie à votre choix , & de tenir le reste en échec avec un petit nombre de troupes ? Mais toutes ces choses font aussi, diverses que les situations qui les produisent. II ne s’agit que d’avoir de l’in- telligence, connoîtreleterrein, & oser; car vous ne risquez rien , ces affaires- là n’étant jamais décisives pour vous ; mais elles peuvent l’être pour 1*ennemi.. Ce font les têtes de vos colonnes qui attaquent à mesure qu’elles arrivent, lesquelles font soutenues par d’autres troupes qui les suivent cela fait disposition de foi-même, & vous donnez fur des corps qui ne font point disposés ni soutenus. Voila à quoi la colonne peut être bonne mais je m’apperçois que je vais Ï6û M E M O I R Ë 5. âu-delà des premiers principes de l’aft* & il n’est pas encore temps de passer à des parties si élevées. CHAPITRE CINQUIEME. Des armes à feu , & de la méthode de tirer. J’ai déja dit que la maniéré de faire tirer par commandement , gênoit le soldat & ôtoit au feu tout son effet, je veux dire la justesse ; & qu’il est dangereux de tirer, quand on a affûte à de l’infanterie, où l’on peut s’aborder parce qu’il faut s'atrêter pour tirer, & qu’infailliblement vous vous faites battre , si vous tirez contre des gens qui marchent à vous avec célérité - parce que votre troupe , qui fe flattoit que ce feu alloit exterminer l’ennemi, voyant le peu d’effet qu’il aura produit, vous abandonnera certainement. Ainsi il ne faut point tirer fur l’ennemi que l'on peut aborder ; mais bien derrière Mémoires. i6î 3es haies , lorsqu’un fossé , une rivière, un ravin Òc autres choses semblables vous séparent de lui alors il faut sça- Voir tirer, & faire un feu si terrible , que rien ne puisse y résister. Je m’y prends ainsi. J’ai déja dit óP devant, que je voulois que tous mes soldats eussent des fusils avec un dé à secret; ils tirent plus loin, & se chargent plus vîte ; le coup en est plus net & plus violent. Dans l’émotion que cause le combat, les soldats, tout de même, ne bourrent pas la moitié du temps, & font sujets à mettre la cartouche dans le canon, fans l’ouvrir ; ce qui rend beaucoup d’armes inutiles. Je veux donc que les cartouches soient de carton, plus grosses que le calibre du fusil, afin que les soldats ne puissent pas , par distraction , les y faire entrer; qu’elles soient fermées avec un parchemin collé dessus, afin qu’ils puissent aisément les décoësser avec les Iffi q£ Ji jjr j^ ****** in ****** £J r r jr ^ ^r'T'^ LIVRE SECOND. Des parties sublimes . CHAPITRE PREMIER. De la fortification , attaque & défense des places. J E m’étonne toujours comment on ne revient pas de l’abus de fortifier les villes. Ce propos paroîtra extraordinaire , & je dois le justifier. Examinons premierement l’utilité d’une forteresse. Elle sert à couvrir un pays ; à obliger Pennemi à l’attaquer avant que de passer outre ; à s’y retirer avec des troupes , pour les y mettre à couvert, y former des magasins, &; y mettre en Mémoires. 185 sûreté , pendant l’hyver, de TartiUe- rie , des munitions , &c. Si l’on examine bien ces choses , on trouvera qu’il est avantageux que les forteresses soient placées aux con- fluens des rivières ; parce que, pour les investir, il faut partager les armées en trois corps différens, qu’on peut en battre un avant qu’il soit secouru des deux autres , qu’avant l’investissement on a toujours deux côtés libres , & qu’il est impossible que l’ennemi forme cet investissement dans un jour ; qu’il faut l’attirail de trois ponts ^ & que l’on a les hazards pour foi, je veux dire les orages Sc les inondations qui arrivent ordinairement l’été. Outre qu’en occupant de tels postes, on est maître du pays ,1’étant des rivières ; on empêche le cours de celles-ci , Sc l’on a la facilité de ravitailler aisément les forteresses, d’y former des magasins, d’y transporter des muni' 186 Mémoires. tions & toutes les choses nécessaires à la guerre. Au défaut des rivières , on trouve des endroits fortifiés par la nature , qu’il est prefqu’impossible réinvestir, & qu’on ne peut attaquer que d’un seul côté ; qui, avec peu de dépense , pourroient se rendre , pour ainsi dire, imprenables ; car je compte la nature infiniment plus forte que Fart. Pourquoi donc n’en pas profiter f Peu de Villes ont été fondées à ces fins ; le négoce a causé leur augmentation, & le hasard a choisi leur situation. Ces villes, par la succession des temps, se sont accrues, les bourgeois les ont enceintes de murailles , pour se défendre contre les courses des ennemis, & pour se garantir des troubles intestins qui agitent les Etats. Jusques-là tout est dicté par la raison ; les bourgeois les ont fortifiées pour leur conservation, ils les ont défendues mais pourquoi Mémoires. i 8^ les princes se sont-ils avisés de les fortifier ? Ils pourroient avoir eu en cela quelqu’apparence de raison, du temps que la chrétienté vivoit dans la barbarie , que l’on dévaíìoit les pays mais à présent que l’on sait la guerre avec plus de modération, parce que le vainqueur même y trouve son avantage > qu’a-t-on à craindre f Est-ce qu’une ville qui fera enceinte d’une bonne muraille , & d’un boulevard où l’on mettra trois ou quatre cens hommes de garnison, joints à la bourgeoisie , avec quelques pieces de canon de fer, ne fera pas aussi bien en sûreté , que s’il y avoit plusieurs milliers d’hommes ? Car je soutiens que ceux-ci ne se défendront pas plus longtemps que ces quatre cens hommes, & que la capitulation pour le bourgeois ne fera pas meilleure. Outre cela , quand l’enne- mi aura pris cette ville , qu’en fera- t-il ? La fortifiera-t-iì f Je pense que *88 M EMOI RE Sinon ; ainsi il se contentera d’une contribution & passera outre , peut-être même ne l’affiégera-t-il pas, parce qu’il ne sçauroit la Conserver de se bavarder d’y laisser une petite garnison, c’est ce qu’il ne fera jamais ; & d’y en mettre une grosse, il le fera encore moins , parce qu’elle ne seroit pas en sûreté. Une raison plus forte encore me persuade que les villes fortifiées font de mauvaise défense \ c’est que , supposé que l’on fasse des magasins de vivres pour trois mois de garnison, dès qu’une ville est investie , il n’y en a pas pour huit jours ; parce qu’on n’a pas compté fur dix, vingt ou trente mille bouches qu’il faut nourrir, par la raison que la plupart des habitans de la campagne s’y réfugient avec leurs effets , & augmentent le nombre des bourgeois. Les richesses d’un prince ne détendent pas à faire de pareils magasins pour tout un pays dans toutes les places Mémoires. i8p qui sont en risque d’être attaquées , non plus qu a les renouveller tous les ans ; Sc quand il auroit la pierre philo- sophale, il ne le pourroit pas, parcs qu’il mettroit la famine dans ses Etats. J’entends dire à quelqu’un Je mettrai à la porte les bourgeois qui ne pourront faire leur provision. C’est une désolation pire que celle que peut causer l’ennemi car çombien y en a-t-tl dans une ville qui ne vivent qu’au jour la journée ? Outre cela , est-on certain que l’on fera investi f Mais si cela est, l’ennemi verra-t-il tranquillement la retraite de ce peuple ? II le rechassera dans la ville. Qu’est-ce que fera mom- sieurle gouverneur? Laíssera-t-ilmourir de faim ces misérables? Pourra-t-il justifier cette conduite devant son souverain ? Que sera-t-il donc ? II faudra qu’il leur fasse part de son magasin , & qu’il se rende au bout de huit ou quinze jours. Car } supposé qu’il y ait dan§ uns ï $o Mémoires. yille cinq mille hommes de garnison, qu’il y ait outre cela trente mille douches , que les magasins soient pour trois mois ; les trente - cinq mille bouches mangeront en un jour ce que les autres auroient mangé en huit ou neuf ; ainsi la place ne peut tenir qu’environ dix à douze jours. Mettons qu’elle en tienne vingt ce n’est pas la peine de'l’atta- quer ; elle est obligée de se rendre d’elle-même , & tous les millions que l’on a employés pour la fortifier font perdus. Il me semble, que ce que je Viens de dire doit bien persuader des défauts irrémédiables des villes /fortifiées, & qu’il est plus avantageux à un souverain d’établir ses places d’armes dans des endroits aidés de la nature & propres à couvrir un pays, que de fortifier des villes avec des dépenses immenses, ou d’augmenter leurs fortifications, Ilíaudroitau contraire, après Mémoires, 191 en avoir établi d’autres, les raser toutes jusqu’aux remparts. Du moins ne faudroit-il plus songer à en fortifier &ç \ employer tant d’argent inutilement,. Quoique ce que je dis là soit fondé sur la raison , je sçais bien que per- ònne ne s’en avisera , tant l’usage est me belle chose , & tant il a de puis- ànce sur les hommes. Une place cornue celle que je suppose , peut tenir plusieurs mois de tranchée & même des années ; parce que la bourgeoisie ne l’embarrasse pas, & que , lorsqu’il y a des vivres, on sçait combien le siège doit durer. Les sièges que l’on a faits en Bra^ bant n’auroient pas eu des succès si rapides , si les gouverneurs n’avoient calculé le temps de leur résistance avec celui de la durée de leurs vivres ; c’est pourquoi ils désiroient autant que l’en^ nemi que la brèche fût bientôt prête , pour pouvoir se rendre honorablement z r§2 Mémoires. & malgré cette bonne volonté mutuelle, j’ai vu plusieurs gouverneurs être obligés de le faire, fans avoir eu l'honneur de sortir par la brèche. J’ai remarqué dans les sièges que, dès le commencement, l’on garnit beaucoup le chemin couvert, que l’on y fait un grand feu de mousqueterie, & que ce feu ne fait pas un grand dommage. Cela ne vaut absolument rien, parce qu’on fatigue les troupes de façon qu’on les excede. Le soldat, que l’on sait tirer toute la nuit, s’ennuie ; son fusil se casse ou se démantibule ; il passe le lendemain une partie du jour à le nettoyer, à le rajuster & à faire des cartouches. Enfin cela lui emporte tout le repos qu’il devroit prendre - chose qui est d’une conséquence infinie , & qui entraîne après foi, si l’on n’y fait attention , des maladies & un dégoût auxquels la bonne volonté ne désiste pas. C’çst cependant fur la fin d’un Mémoires. d’un siège oû il faut marquer plus de vigueur ; parce que c’est alors qu’il est question de coups de main, & que plus vous faites voir d’activité, plus l’enne- mi se dégoûte ; d’autant que les maladies se mettent dans son camp , que les sourages & les vivres lui manquent, & ensin que tout concourt à fa ruine ; ce qui décourage & officiers & soldats si avec cela ils sentent que la résistance devient plus forte & qu’elle augmente à mesure qu’ils se flattent de la voir diminuer , ils ne sçavent plus ou ils en font, & se dégoûtent totalement. C’est pourquoi il faut toujours réserver les meilleures troupes pour les coups de main , ne leur pas seulement permettre de mettre le nez sur le rempart, & sur-tout ne les point faire veiller ; mais, dès qu’elles ont fait leur expédition , les renvoyer à leur quartier. Pour revenir au feu du chemin couvert ou des remparts fur les travailleurs pendant la nuit, ce n’est que da I i5>4 Mémoires. bruit ; car les soldats , pour ne point se donner la peine de bourrer, parce que cela les fatigue - prennent la poudre à poignée , la jettent dans le fusil, mettent une baie par-deísus, puis tirent. Où tirent-ils ? En Pair; parce qu’à force de tirer, Pépaule leur devient douloureuse ; & comme , dans l’obscurité, l’cíficier ne peut les voir, ils passent le bout du fusil sur la palissade , & la baie va où elle peut. Il vaut beaucoup mieux placer, vers la fin du jour, plusieu/s batteries de çanons à barbettes, soit dans les chemins couverts, soit sur les remparts , les aligner avec de la craie pour les faire tirer dans les environs où l’on croit qu’ìl en est besoin pendant toute la nuit, puis les ôter à la pointe du jour. Ce feu fera bien plus meurtrier que celui de la mousqueterie, parce qu’il percera gabions & fascines les baies étant grosses comme des noix , balaieront continuellement toute la lar- M EMOlRESf 1$f geur dé la tranchée, & iront par bonds & ricochets bien loin au-delà de leur portée. Le canon de 1-ennemi ne sçau- roit les faire taire pendant la nuit, & cela tue comme mouches les travailleurs & ceux qui fervent les batteries. Enfin , pour servir douze pieces de carton ainsi disposées, il rte faut que trente-six soldats & douze canoniers; & je me persuade qu’ils feront plus de masque mille hommes à qui l'on auroie fait passer la nuit dans le chemin couvert. Pendant ce temps, vos troupes se reposent tranquillement, & sont le lendemain en état de relever les postes , ou d'être employées au travail. • Que l'on ne m’objeéte pas que cela consume beaucoup de poudre ; les soldats en gaspillent plus pendant la nuit qu’ils n’en tirent au reste on n’a qu’à tirer ayec moins de pieces ; il en résultera-toujours un avantage considérable , en ce que vos troupes seront moins fatiguées , & que par conséquent vous lij i $6 Mémoires. aurez moins de malades car rien ne cause tant de maladies que les veilles. Je dois dire ici un seul mot en passant sur nos ouvrages de fortifications, qui est que tous les anciens ne valent rien, & les modernes pas beaucoup plus j ainsi que je le ferai connoître à la fin du second chapitre. Le roi de Pologne * a formé un système de fortifications qui est admirable mais parc? qu’on ne fait pas les places comme on les souhaiteroit, & qu’il faut s’en servir comme elles font, il faudroitau moins tâcher de remédier aux défauts les plus absurdes. -Tous les ouvrages détachés, par exemple , font escarpés à la gorge mauvais système. Pour y remédier , il faut y pratiquer des rampes pour pouvoir les r’attaquer par derriere l’épée à la main car quand les ennemis s’y font logés, leur logement contient peu de monde , parce que les couvreurs 6c •* Auguste II. pcfe de l’iureur, Mémoires. Ipz travailleurs font obligés de fe retirer. Or, fi vous pouvez venir à eux & les attaquer en plus grand nombre, indubitablement vous les chasserez ; & avant qu’ils aient commandé un nouvel assaut & de nouveaux travailleurs, leur logement fera comblé. Vous le pouvez en toute sûreté, parce que vous n’êtes pas vû de leur canon, ni du feu de leur tranchée ; il faut donc qu’ils donnent un nouvel assaut, où vous leur tuez une infinité de monde , parce qu’ils font obligés de venir en force. Quand leur logement est fait de nouveau , & que leurs couvreurs font retirés , vous recommencez. Rien n’est si meurtrier & ne désole tant l’aífiégeant, & l’avantage est toujours du côté des assiégés. Tout ouvrage escarpé par la gorge est un ouvrage perdu, lorsqu’il est une fois emporté ; par la raison qu’on ne sçauroit y aller, que l’ennemi y est en sûreté , &c que vous ne pouvez l’y Iiij i des bestiaux , des Vivres, en un mot, tout ce qui regarde la subsistance & toutes les choses nécessaires aux armées. Et si l’on veut y joindre les avantages que la nature nous donne ou nous offre à chaque pas , on conCevra aisément que l'on fera des postes de très-grande importance , surtout si l’on y ajoute des ouvrages avancés. Car plus les places font grandes & les ouvrages étendus, plus il saut de monde pour en faire le siège; telles font Lille, Bruxelles, Metz, &c. où il faut des armées de cent mille hommes pour les investir mais aussi il faut considérablement de monde pour les défendre. J’ai trouvé moyen , par des tours, de suppléer à ce défaut qu’ont les petites places d’être investies avec peu de monde ; & par ce même moyen il ne fa u droit pas moins que cent mille L iij 2.^6 Me m o r r e s. hommes pour l’investissement d’un fofí tel que celui que je viens de projetter. Ces tours avancées valent infiniment mieux que les redoutes que plusieurs emploient pour rendre une place spacieuse. Ces redoutes sont bientôt prises, à moins qu’on ne veuille risquer d’y perdre son canon & ses troupes d’ailleurs, il faut beaucoup de monde pour les garder ; ce qui fatigue votre garnison, Sc l’affoiblit extrêmement. Je place ces tours à deux mille pas de mes ouvrages ; parce que , de-là, je puis les battre avec mon canon, lorsque l’ennemi s’en est- emparé. Elles doivent être construites de briques , de façon qu’il n’y ait qu’une simple mu- í raille du côté de la place ; c’est-à-dire, qu’il faut partager la tour par son diamètre , que la moitié qui est du côté de la campagne soit pleine, & que celle j qui est du côté de la place soit vuide. Il y a j du centre du corps de ma M E M O I K E S. 247 place jusqu’à ces tours, trois mille pas de rayon ; ce qui fait, par conséquent, dix-huit mille & quelques pas de circonférence ainsi il me faudra trente- six de ces tours pour faire l’enceinte , en les plaçant à cinq cens pas de distance l’une de l’autre j & il faudra les joindre par un bon sosie. Rien ne pourra pasier entre deux ; parce que les coups de feu y croisent ; & que , si l’on vou- loit y pasier en poussant des boyaux , l’on seroit vu Le plongé ainsi il faudra que l’ennemi établisse des batteries, & qu’il ouvre la tranchée , pour des détruire. J’établirai fur ces tours quatre à cinq de ces armes que - j’appelle ama- settes l’ennemi ne viendra pas fe camper à leur portée j &, s’il le fait, je lui ferai bientôt lever son camp. II faudra donc qu’il aille camper à quatre mille pas de mes tours. Ajoutez quatre mille pas de rayon aux trois que font mes ouvrages, cela fera quatorze mille pas de diamètre, & par conséquent qua- Liv 248 Mémoires. rante-deux mille de circonférence, & d’avantage. Je veux qu’un bataillon , ou un escadron , occupe cent pas de distance il faudroit quatre cent vingt bataillons pour occuper la circonval- lation , & autant pour la contrevalla- tion ; ce qui feroit huit cent quarante bataillons cela est monstrueux. II faut cependant garder ces lignes ; & l’on conçoit aisément que les travaux ne se feront pas fort tranquillement. Que l’on ne croie pas qu’en menant du canon à barbette , on détruise ces tours fi facilement; il faut absolument ouvrir la tranchée , & y établir des batteries ; & il pourroit se faire que l’on tireroit plus de huit jours , avant que, - - 18-0-0 Largeur R - - 2-0-0 J Profondeur - - 1 - 4- 0 J 1586-4,-0 1 375-0-0 ^201It- 4 - 3 > 60-0-0 En quarante heures trois quarts, quatre cens travailleurs & deux cens régaleurs feront le front d’un peligô- ne ; ainsi quatre mille huit cens feront les lunettes , le chemin couvert, & le glacis de huit poligônes, en quarante heures trois quarts. Suivant le calcul ci-dessus, quatre mille huit cens hommes construiront un poligône en quatorze heures & de^ Mémoires. 255 mie ; &, par conséquent, le fort entier en onze à douze jours de dix heures chacun. Bien que tous ces calculs soient réels, on ne doit cependant pas y compter pour la pratique je ne les ai faits que pour donner une idée de la chose ; mais, en y ajoutant le double > ou le triple du temps , on ne fçauroit assurément s’y méprendre. La meilleure façon d’employer les travailleurs, est de les faire travailler par quart ; c’est-à-dire, de les faire relever toutes les deux heures & demie alors le travail va vîte , & toutes ler troupes font employées fans être fatiguées. Le soldat qui ne travaille que trois heures par jour , fait fa tâche de bon cœur , & on peut même le presser. Mais on doit travailler au son du tambour , & des instrumens de guerre en cadence. C’est ainsi que les Lacé- démoniens, fous Lyfandre , avec un détachement de trois mille hommes 3 2y6 Mémoires. détruisirent le Pyrée, au son de la flûte , en six heures de temps. II nous est même resté quelque chose de cette méthode de travailler ; & il n’y a que peu d’années que l’on fit faire aux forçats des galères de Marseille un grand remuement de décombres mêlées de poutres énormes, en cadence, & au son du tambourin. Ir faut, autant qu’il se peut, jetter les terres à la pelle, de berme en berme , ou de relais en relais. Le brouët- tage a plusieurs inconvéniens i°. La dépense des brouettes, leur entretien , & 1’embarras de les transporter 2 ". Les rampes douces qu’il faut pratiquer pour rouler les terres ; ce qui allonge considérablement la marche, qui n’est jamais égale & fans embarras ; parce que le plus fort est obligé de se régler sur le plus íoible. Le soldat peut facilement jetter sa pelletée de terre de huit pieds de profondeur ; & , lorsqu’il se trouve plus bas, il faut lui faire porter Mémoires. 277 la terre à la hotte. Les pionniers laisseront, en fouillant, des banquettes 011 des dames , pour que les hotteurs piaillent se reposer pendant qu’on les charge ; après quoi , ils partent, & vont les décharger aux endroits qui leur font indiqués. II faut que la hotte ait environ trois pieds de hauteur ; qu’elle soit étroite par le bas; & qu’elle contienne deux pieds cubes , qui ne feront gueres plus que le poids de cent cinquante livres, qu’un homme peut porter. D’ailleurs, celui qui porte ne se fatigue pas tant que celui qui poulie une brouette dont la charge fera de moitié moins pesante. Le soldat renverse facilement sa hotte, en se penchant de côté ; parce qu’elle est de la forme d’un cône renversé. Mais, comme je l’ai déja dit, il faut que tout cela se fasse en cadence, & au son de quel- qu’instrument. Il est absolument nécessaire de faire travailler le soldat. Qu’on lise, dans 2/8 M E M 0 I R Ê S 269 rence de plus de cent bataillons fur les deux armées ; car le prince Eugene fut obligé de jetter du monde dans toutes les places voisines. Le maréchal de Villars, voyant que les alliés ne pou- Voient plus faire de sièges, tous les magasins étant pris, tira des garnisons Voisines plus de cinquante bataillons , qui grossirent tellement son armée, que le prince Eugene , n’ofant plus tenir la campagne , fut obligé de jetter dans le Quefnoi tout son canon, qui y fut pris. Lorsque les villes font situées au confluent des rivières , il est toujours possible à une armée qui vient au secours des aísiégés, de rompre les ponts qui fervent à la communication de celle des aísiégeans z moyennant quoi, cette armée séparée , l’on en battra une partie, & l’autre-ne sera gueres mieux traitée voilà donc le siège levé. Ceux qui viennent au secours d’une place assiégée ne craignent rien d’attaquer 27o Mémoire s. une contrevallation ; parce que l’aíTie- geant n’oseroit sortir de son poste, à cause de la supériorité qu’iltrouveroit, & de la grandeur du terrein, qui va toujours en s’élargissant , lorsqu'on avance. L’obligation de rester derriere ses retranchemens le rend timide, & donne au contraire de l’audace à celui qui attaque, parce qu’il ne craint rien ; ce qui fait plus des trois quarts du gain d’une affaire. A l’égard du passage de rivières de vive force, je crois qu’il n’est gueres possible de l’empêcher ; surtout lors- qu’il est soutenu d'un grand feu d’ar- tillerie, qui donne le temps à la tête de se retrancher, & de faire un ouvrage pour couvrir le pont. Il n’y a rien à faire pendant le jour ; mais, pendant la nuit, on peut attaquer cet ouvrage &, s’il se trouve que ce soit dans le temps que l’armée ennemie commence à passer , la confusion se mettra partout , & ceux qui seront déja passés Mémoires. _ 271 font perdus. Mais il faut y aller en force & 3 íi vous passez la nuit, vous trouverez le lendemain toute Farmée passée alors ce n’est plus une affaire de détail, mais bien générale, que des raisons d’Etat ne permettent pas toujours de bazarder. Il y a , au reste , quantité de ruses pour le passage des rivières, que chacun emploie , dans Foccasion , selon qu’il est plus ou moins habile & ingénieux. L’affaire de Denain me fait ressouvenir d’une chose qu’il faut que je conte ici en passant. Le combat fini , la cavalerie Françoise mit pied à terre. Le maréchal de Villars passant le long de la ligne, comme il étoit toujours gai, parlant à des soldats d’un régiment qui étoit fur fa droite , il leur dit Eh bien , mes en f ans, nous les avons battus. Quelques-uns se mirent à crier vive le roi, à jetter leurs chapeaux, en l’air, & à tirer ; la cavalerie s’en mêla M iv 2^2 M E M O I R E S. cela effraya tellement les chevaux qu’ils s’arracherent des mains des cavaliers , & s’enfuirent tous. S’il y avoir eu quatre hommes qui eussent couru devant eux, ils les auroient menés à ì’ennemi. Cela fit un désordre & un dommage considérable il y eut beaucoup de monde blessé, & quantité d'armes perdues. J’ai voulu raconter ce fait, afin de dire ce que c’est que de donner le haraux ; il n’y a que peu de partisans qui le sçachent. Donner le harattx , est une maniéré d’enlever les chevaux de la cavalerie à la pâture ou au fou rage , qui est très-plaisante. On se mêle, déguisé, à cheval, parmi les fourageurs ou les pâtureurs, du côté que l’on veut fuir. On commence à tirer quelques coups ceux qui doivent serrer la queue y répondent àjJ’autre extrémité de la pâture ou du fourage puis l’on se met de toute part à courir vers l’endroit où l’on Yeut amener les chevaux, en criant Mémoires. ' 27^ & en tirant tous les chevaux se mettent à fuir de ce côté-là , couplés ou non couplés , arrachent les piquets , jettent à bas leurs cavaliers & les trousses ; &, fussent-ils cent mille, on les amene ainsi plusieurs lieues, en courant. On entre dans un endroit entouré de haies ou de sosies, où l’on s’arrête fans faire de bruit ; puis les chevaux se laissent prendre tranquillement. C’eíl un tour qui désole l’ennemi. Je l ai vû jouer une fois mais, comme toutes les bonnes choses s’oublient, je pense que l’on n’y songe plus à présent. CHAPITRE SIXIÈME. Des différentes situations , -pour camper les armées & pour combattre. U N Général habile doit sçavoir profiter de toutes les différentes situations que la nature lui présente je veux dire des plaines, des montagnes , des ra- M y 274 Mémoires. vins, des chemins creux, des chaîne? d’étangs, des rivières, des ruisseaux , des bois, & d’une infinité d’autres choses qui lui font d’une utilité merveilleuse , lorsque la nature l’a doué de sens commun. Mais, comme ces choses, qui changent si fort la situation & la question , nes’apperçoivent, comme l’on dit, que lorsqu’on a le nez sur l’enfant, & qu’a- lors il est trop tard , je vais entrer dans quelque raisonnement. Supposons donc un terrein coupé par un ruisseau & des étangs *. Si une armée venoit m’attaquer, je mettrois toute mon infanterie fur une ligne, pour masquer les étangs. Dès que l’ennemi seroit à portée, je les démasqueras, en faisant passer, par les intervalles ou digues, mon infanterie pour former une seconde ligne ; * Il est toujours facile de former des étangs avec un ruisseau , en arrêtant son cours, de distance en distance, par des digues ; & en le détournant , lorsque les étangs font pleins. Mémoires. 275 & je serois pafl'er ma cavalerie, qui se présenteroit, pour tenir en échec l’aîle gauche de l’ennemi ce mouvement seul le déconcerte. S’ilfaisoitmined’at- taquer cette aîle de cavalerie, je lui serois passer les intervalles, & y laisse- rois des postes d’iníanterie pour la garder. Cette manœuvre auroit engagé l’ennemi en avant, & il n’auroit plus le temps de se jetter sur la droite ; parce pie, sitôt que ma cavalerie est arrivée à ma droite, j’attaque en même temps- tout ce qui se trouve entre le ruisseau & moi , c’est-à-dire, l’aîle droite de l’ennemi ; & il y a quelqu’apparence que j’y mettrois de la confusion. Cette droite étant battue , le reste seroit bientôt pris en tête & en queue par mes deux ailes de cavalerie, & en flanc par toute mon infanterie. Si l’ennemi faisoit le moindre mouvement pour présenter le front à mon infanterie , elle prêteroit le flanc à mes petites troupes; M vj ' 276 Mémoires. qui sont sur les digues, & à ma cavale-' rie de la droite. Ce seul mouvement, qu’il seroit obligé de faire, le mettroit en désordre. Selon cet ordre, je suppose l’ennemi une fois plus fort que moi. Mais l’on me dira votre cavalerie de la droite court risque d’être écrasée. Tant mieux; parce que , plus l’ennemi fera occupé de l’objet qu’il a devant lui, & plus il s’enfournera je lui tomberai fur le dos ; &c d’ailleurs ma cavalerie auroit bien du malheur , fi elle. ne se retiroit sur les chaussées des étangs , où l’ennemi n’oseroit assurément la poursuivre. Venons à une autre supposition. L’ e n n e m 1 vient m’attaquer. J’ai trois bonnes redoutes à trois cens pas du front de mon armée, garnies chacune de deux bataillons, & de ce qu’il faut pour se défendre. J’ai de la cavalerie détachée , en embuscade ; & deux batteries dont le feu flanque , & croise dans la plaine, J’ai de plus Memoihes. 277 deux bataillons dans deux petites redoutes pour couvrir les batteries. Je veux que l’ennemi soit une sois plus fort que moi ; comment m’atta- quera-t-il dans ce poste ? Viendra-t-íl en front de bandiere ? II ne le peut, fans se rompre ; parce qu’il faut auparavant qu’il emporte les redoutes cette opération le met en désordre ; mes deux batteries des flancs l'incommodent ; & il ne peut passer outre , & laisser ces redoutes derriere lui. S’il les fait attaquer par des détachemens, j’en ferai pour les soutenir, & 1a partie ne sera pas égale ; parce que mon canon le prend en écharpe. S’il avance, avec tout son corps d’armée, jusqifa ces redoutes , je fais le signal pour faire avancer, à toutes jambes, ma cavalerie , qui est embusquée derriere quelque bois, par exemple, & qui lui tombera- fur le dos ; je m’ébranlerai en, même temps , & l’attaquerai. Embarrassé de ces redoutes, un peu en dé- 278 Mémoires» í'ordre 6e pris en queue , il y a apparence que j’en aurai bon marché. Ceci est bon, Iorsqu’on íçait que i’ennemi est dans la volonté , ou dans la nécessité de vous attaquer ; car il faut bien se garder de vouloir jamais ce qu’il veut c’est un principe à la guerre, excepté dans des cas extraordinaires qui, réadmettent point de réglés. Mais, lorsqu’on a des raisons pour l’attaquer, on ne sçauroit traîner la situation après foi ; . il faut faire ses dispositions selon que cette situation se présente ; & ne le point attaquer, si elle ne vous est point avantageuse. J’appelle_ avantageuse, lorsque vos flancs sont bien couverts ; que vous pouvez attaquer, avec la plus grande partie de vos troupes,, la moindre, partie des siennes; que vous pouvez l’amuser 6e le tenir en panne, quand une petite riviere le sépare, un marais , ou autre chose enfin. Alors vous pouvez hardiment l’attaquer avec des troupes beaucoup inférieures en Mémoires. 279 ombre ; car vous risquez peu. Suppose’ qu’il soit à cheval sur une riviere , & que je marche pour l’atta- quer, je ferai ainsi ma disposition. Je tiendrai, avec ma droite, sa gauche en panne ; & je ferai tous mes efforts, avec ma gauche , pour culbuter fa droite. Je la percerai, selon toute apparence , le long de la riviere ; parce qu’il faut supposer que le fort emportera le foible. Si donc je perce l’enne- mi, il est battu ; parce que toute sa gauche , où est le fort de ses troupes » ne peut plus venir à son secours , qui, au contraire, se voyant prise en tête & en flanc, se retirera sans doute. Passons à une autre supposition. Qu’il y ait entre deux armées un ruisseau , & qu’il soit guéable, comme il s’en trouve partout. On se campe ordinairement sur les bords de ces ruisseaux ; tant pour se mettre un peu à couvert, que pour la commodité de Peau. Les choses étant donc ainsi dis- 28a Mémoires. posées, en arrivant vers le soir, je me campe devant l’ennemi. Comme il n’aura pas envie de se commettre à un combat douteux, il ne passera certainement pas le ruisseau pour m’atta- quer la nuit, & ne quittera pas l’avan- tage de son poste je crois, au contraire , qu’il s’occupera toute la nuit à faire fa disposition pour la défense de son ruisseau. De mon côté , je ne laisserai qu’une simple ligne légèrement garnie devant lui ; je marcherai toute la nuit avec le reste de mes troupes, 6c me mettrai fur fa gauche A devant lui. Je n’ai rien à craindre , en faisant ce mouvement ; car certainement il ne passera pas le ruifleau , ni ne le dégarnira pas fur de simples soupçons. Le jour arrivant, il me volt dans une position des plus favorables. Quelque mouvement qu’il fasse, il ne peut que lui causer du désordre ; & je serai sur lui, avant qu’il ait pû former son ordre de bataille ? si toutefois il en veut for- Mémoires. 281 mer un ; car sa grande attention sera toujours fur son ruisseau , que je ferai attaquer en même temps. 11 enverra fur fa gauche quelques brigades , qui arriveront en détail, & feront battues de même ; parce qu’elles donneront dans un corps d’armée en ordre j &il fera battu avant qu’il ait pû-se persuader que ce fût la véritable attaque & quand son habileté irok à s’en apper- cevoir, il n’est plus le maître d’y remédier , quelque chose qu’il fasse; sans parler de la crainte qui se mettra dans ses troupes. Passons encore à une autre supposition. Que Parmée ennemie soit répandue , en différens corps , tout le long d’une grosse riviere , fur une grande distance, pour couvrir une province» comme il arrive souvent. Je me répandrai de même. Ordinairement les grandes rivières ont des plaines des deux côtés , lesquelles font bornées par des Montagnes d’où coulent de petites- Mémoires. rivières ou des ruisseaux , quelquefois assez considérables, qui vont se jetter dans la grosse riviere. Or, il faut tâcher , par le moyen de votre ruisseau, de construire un pont, fans que l’en- nemi s’en apperçoive car c’est toujours la grande difficulté au passage des rivières. Vous construirez donc votre pont tout le long du ruifleau , & vous. le ferez couler dans l’endroit de la riviere où le ruisseau se jette, & où vous ferez un passage de vive force ; ce qui vous réussira , surtout st vous faites deux fausses attaques, en mêm,e temps, en deux endroits également éloignés de votre pont. L’ennemi isolera dégarnir nulle part. Les Généraux n’exécu- teront pas les ordres qu'ils recevront ; parce qu’ils se verront attaqués, &, que chacun croira l’attaque véritable ils supposeront même, avec raison, que le Général n’en sçauroit être informé. Pendant tout ce temps-là , l’essort se fait au centre, entre la petite riviere Mémoires. 28Z & la montagne d’ou elle coule. II faudra d'abord s’emparer des hauteurs alors l’ennemi voit son armée séparée en deux. 11 ne peut se flatter d’arriver en même temps des deux côtés pour vous attaquer ; s’il le faisoit, il seroit bientôt massacré. Cela le meuroit d'au- tant plus en désordre , que vous vous feriez emparé de ses dépôts , fans avoir que peu risqué car votre paflage a réussis ou non ; ce qui ne sçauroit jamais être bien cher pour vous, surtout si vous avez bien pris vos précautions, & que votre disposition ait été bien faite. Si une fois vous avez pris poste , & que votre pont soit fait, ce qui sera l’afFaire de quatre heures, il en faut quatre autres pour passer trente mille hommes ; & j’en donne vingt-quatre à l’ennemi avant qu’il sçache à quoi s’en tenir, & vingt-quatre autres avant qu’il ait rassemblé une de ses moitiés, & qu’il soit arrivé où il faut. Et avec quoi arrivera- t - il sur une rivière que je suppose 284 Mémoire § . bonne ? Sans quoi je ne prétends paâ entreprendre de ces sortes de passages. II fera donc bridé, d’un côté par la montagne , & de l’autre par la riviere. Toutes les grandes rivières que j’ai vues produisent quantité de situations où des passages pareils font pra- tiquables les médiocres de même , mais rarement elles font aussi bonnes ; parce que les plaines & les montagnes qui les environnent ne font pas fi avantageuses , & que les ruisseaux ne font pas si considérables. Enfin , je repete qu’il ne faut que du discernement , pour fçavoir profiter de mille fortes de situations qui fe présentent à nous ; fans quoi un Général ne peut fe flatter de faire de grandes choses, même avec les plus nombreuses armées. Je ne veux pas finir cé chapitre, fans parler de l’affaire de Malplaquet. Si, au lieu de mettre les troupes Fran- çoifes dans de mauvais retranchemens , on eûtfunplement fait des abattis des Mémoires. 285 trois bois vis-à-vis de la trouée, & que l’on eût placé dans ces trouées trois ou quatre redoutes, ie crois que les choses auroient tourné bien différemment. Qu’auroient fait les alliés ? Au- roient-ils attaqué ces redoutes soutenues de plusieurs brigades ? Je pense qu’ils s’en seroient mal trouvés ; ils y auroient perdu une infinité de monde , & ils ne les auroient certainement pas emportées. C’est le propre de la nation Françoise d’attaquer. Mais, lorsqu’un Général se méfie du grand ordre qu’il faut observer dans les batailles,& de l’exacte discipline des troupes, il doit faire naître les occasions de combattre en détail , & faire attaquer par brigades ; assurément il s’en trouvera bien. Le premier choc des François ejì terrible 3 mais il faut sçavoir le renouvelles par d’habiles dispositions c’est l’affai- re du Général. Rien n’y est si propre que ces redoutes vous y enyoyez toy* 286 Mémoires. jours des troupes nouvelles, pour attaquer celles de l’ennemi qui attaquent. Rien ne lui cause tant de distraction , Sc ne le rend si craintif car, tandis qu’il attaque , il craint toujours d’être pris par ses flancs ; & vos troupes y vont de meilleur cœur, parce qu’elles sentent que leur retraite est assurée, Sc que l’ennemi n’oseroit les suivre à travers ces redoutes. C’est dans cette occasion où vous pouvez tirer les plus grands avantages dse l'impétuosité de vos troupes mais les mettre derriere des retranchemens, c’est les faire battre , ou au moins leur ôter les moyens de vaincre. Que seroit-il arrivé à Malplaquet , si monsieur le maréchal de Fìllars eût pris la plus grande partie de son armée , Sc eût été attaquer une moitié de celle des alliés, qui avoient eu l’im- prudence de se mettre de maniéré qu’ils croient séparés par un bois", fans pouvoir se communiquer ? Les derrières Mémoires. 287 & les flancs de l’armée Françoise au- roient été à couvert. II y a plus d’habileté qu’on ne pense à faire de mauvaises dispositions ; parce qu’il faut sçavoir les chailger en bonnes dans l’instant. Rien n’étonne plus l’ennemi il a compté fur quelque chose , s’est arrangé en conséquence ; Lc , dans le moment qu’il attaque , il ne tient plus rien. Je le dis encore , & je le repete , rien ne déconcerte tant l’ennemi , & ne l’engage plus à faire des sautes. S’il ne change pas fa disposition , il est battu ; & , s’il la change en présence de son ennemi, il Test en- core. 81 le Maréchal de Villars eût abandonné son retranchement à l’approche des alliés , en se mettant dans l’ordre que je propose , il me semble qu’une contre-marche adroite faisoit l’aflàire. tzo yftP* s88 Mémoires. CHAPITRE SEPTIÈME. Des retranchemens & des lignes . J E ne suis ni pour l’un ni pour l’autre 'de ces ouvrages j & je crois toujours entendre parler des murailles de, la Chine , quand on me parle de lignes. Les bonnes font celles que la nature a faites , & les bons retranchemens font ìes bonnes dispositions &Pgxacte discipline des troupes. Je n’ai presque jamais oui dire qu’il y ait eu des lignes ou des retranchemens attaqués, qui n’aient pas été forcés. S x l’on est inférieur en nombre, on ne tiendra pas derriere des retranche- chemens, où Pennemi porte toutes ses forces en deux ou trois endroits íi l’on est égal, on n’y tiendra pas non plus si l’on est supérieur, on n’en a pas besoin. Pourquoi donc fe donner la peine d’en faire Mémoires. 289 L A certitude dans laquelle est l’ennemi que vous n’en sortirez pas, le rend audacieux j il ruse devant vous , & hazarde des mouvemens de côté, qu’il n’oseroit faire íi vous n’étiez pas retranché. Cette audace gagne & officiers Sc soldats ; parce que l’homme craint toujours plus les suites du danger, que le danger même. J’en donne- rois une quantité de preuves. Suppose’ qu’une colonne attaque un retranchement, Sc que la tête soit fur le bord du fossé ; s’il paroít, à cent pas de-là , une poignée de gens hors du retranchement, il est certain que la tête de cette colonne s’arrêtera, ou ne fera pas suivie. Pourquoi cela? J’en trouve la cauíe dans le cœur humain. Que dix hommes mettent le pied fur un retranchement, tout ce qui est derrière fuira, & les bataillons entiers i’aban- donneront. Qu’ils y voient entrer une troupe de cavalerie, à une demi-lîeue d’eux, tout se mettra à fuir, N 3$o Mémoires. Lors donc que l’on est obligé de défendre des retranchemens , il faut bien fe garder de mettre les bataillons tout contre le parapet ; par ce que , si l’ennemi a une fois le pied dessus, ce qui est derriere se sauvera. Cela vient de ce que la tête tourne toujours aux hommes, loríqu’il leur arrive des choses auxquelles ils ne^s’attendent point, Cette réglé est générale -à la guerre ; elle décide de toutes les batailles & de toutes ' les affaires. C’est ce que Rappelle le cœur humain ; je ne pense pas que personne se soit jamais avisé de chercher la raison de la plupart des mauvais succès j & c’est ce qui, m’a faíç Composer cet ouvrage. Quand donc vous mettez vos trou» pe$ derriere un parapet, elles esperent, par Içur feu , empêcher que l'ennem! jne passe le fossé & n’y monte si cela arrive malgré ce feu, les voilà perdues; $a tête leur tourne , & elles fuient. II yaudroit mieux y mettre un seul rang M E M O I K E S. 291 de soldats, avec des armes de longueur ; parce que ces hommes se proposeroiect de repousser à coups de piques ceux qui voudroient monter fur le parapet. Certainement ils exécuteront leur projet ; parce qu’ils se le seront proposé, & qu’ils attendront l’ennemi là. Si, avec cela , vous mettez des troupes d’infanterie à trente pas du retranchement , ces troupes verront qu’elles font placées ainsi , pour charger l’en- nemi à mesure qu’il entre 5c qu’il veut se former ; elles ne seront point étonnées de le voir entrer, parce qu’elles s’y attendent ; & elles le chargeront vigoureusement au lieu que, si elles avoient été placées toutes contre le retranchement, elles auroient pris la fuite. Voilà comme un rien change tout à la guerre, & comme les foibles mot> tels ne se menent que par l’opinion. A cela, il faut ajouter la misere de notre maniéré de se former pour défendre des retranchemens. Nous met- .Nij a_p2 ^ Mémoires; tons nos bataillons à quatre-hommes de hauteur, que nous plaçons contre le parapet. Ainsi j il n’y a que le premier rang qui puisse tirer avec quelque succès , parce qu’il est fur la banquette. Si l’on fait monter les autres rangs à mesure que le premier aura tiré, les coups ne porteront pas ; parce que les soldats fe pressent, & qu’ils ne visent fur aucun objet. Outre cela, cette mar n oeuvre met les bataillons en une te» rible confusion ; & Fennemi vous y trouve , lorfqu’il arrive fur le parapet. Ces bataillons vous font donc totalet ment inutiles , pour le repousser du haut en bas du parapet, à mesure qu'il s’y montre ; parce que vous ne fçarn- riez l’atteindre avec vos fusils armés de baïonnettes, & que vous n avez pas d’arroes de longueur. Vcs soldats rer muent fans cesse dans les bataillons ; pu plutôt tous vos bataillons remuent, en confusion, comme des fourmis dans une fourmilsiere. .Chacun ne songe qu’à M EMOI II E S. 293 tirer; &, à mesure que ì’ennemi monte sur le parapet, vos bataillons s’en éloignent. Je ferois une autre disposition que celle-là, si j’avois à défendre des retran- chemens. La voici. Je mets des centuries tout le long du parapet, en deux rangs ; c’est-à- dire , un rang armé de fusils fur la banquette , & le deuxième rang armé de piques au pied de la banquette , avec les officiers & bas officiers. Ensuite, je fais doubler le premier rang qui est fur la banquette , par les armés à lalégere. Ainsi, il se trouve cent hommes environ au premier rang par centurie, Sc cinquante au second, sans les officiers. Comme j’éleve mon parapet de six pieds, l’ennemi, qui ordinairement se met sur la berme pour tirer par-dessus le parapet, ne sçauroit se servir de cet avantage L il est donc obligé de grimper dessus ; alors mon second rang armé de piques le culbutera bientôt. Les N iij 2^4 Mémoires. officiers & bas officiers qui font au fécond rang, avec des armes de longueur , font attention aux mouvemens des soldats , les animent, & leur font allonger des coups de piques du pied de la banquette - car il fe trouve toujours derriere , de cinq en cinq hommes, un officier ou bas officier. Mais il faut bien imprimer aux soldats, qu’ils ne doivent point croire que leur feu arrêtera J’ennemi ; que le haut du parapet est le lieu oà ils doivent combattre, afin qu’ils ne soient point effrayés de le voir se jettes dans le fossé. Car l’ennemi aura pris ne ferme résolution d’essuyer le feu , & il l’essuiera ; vous devez vous y attendre. S’il s’avise de vouloir occuper la berme du retranchement, comme cela arrive assez souvent, pour vous chasser de la banquette , vous pouvez l’atteindre avec vos armes de longueur, & jetter à bas homme par homme , à mesure qu’il se découvre ; &, s'il entre enfin , Lc qu’il veuille commencer à Mémoires. 299 se formes, vous le chargez en détail par centuries. Ces centuries ne íèront point étonnées de le voir, parce qu’elles s’y attendent ; & elles le chargeront vigoureusement. Voila ce qui regarde la défense des retranchemens. Mais on doit toujours avoir différentes réserves, pour les porter dans les endroits où l’on voit que l’ennemi a le plus de troupes ; ce qu’il n’est pas toujours aisé de voir car, s’il est habile , vous n’en verrez rien. II faut donc placer ces réserves le plus à portée , & le plus avantageusement que l’on pourra ; ce que la situation du terrein doit décider, tant dehors que dedans les retranchemens. Vous ne devez pas craindre que l’ennemi vous attaque dans des endroits où le terrein est uni à une grande distance ; parce qu’il ne voudra pas faire voir le gros de ses troupes dans ces endroits ; il n’y fera qu’à un bataillon de hauteur. Mais, s’il y a une colline, un vallon » Niv 2$6 Mémoires; ou la moindre chose par où il puisse venir à couvert, c’est-là où il fera tous ses efforts ; parce qu’il espérera que vous ne verrez pas fa manœuvre Sc la quantité de troupes qu’il y porte. Si vous pouvez pratiquer des passages dans vos retranchemens, & que vous failliez sortir à propos une troupe ou deux , dans le moment que la tête des colonnes est arrivée fur le bord du fossé , elle s’arrêtera infailliblement, quand même elle auroit forcé le retranchement , & qu’il y en auroit déja une partie d’entrée ; parce que ces colonnes , qui n’ont pas compté là-dessus, craindront pour leurs stancs & leurs derrières ; & il y a apparence qu’elles s’enfuiront , même fans scavoir pourquoi. Voici deux exemples, entre mille autres , qui autorisent mes idées, Sc •que je vais donner par préférence. . Au siège d’Amiens par les Gaulois, César , voulant secourir cette place, se Mémoires. 297 rendit avec son armée, qui n’étoit que de sept mille hommes, le long d’un ruisseau où il se retrancha à son arrivée avec tant de précipitation, que les Barbares, persuadés que César les craignoit, attaquèrent ses retranche- mens qu’il ne í'ongeoit point du tout à défendre. Car , au contraire , dans le temps que les Gaulois travailloient à combler le fossé & à s’emparer du parapet , il sortit avec ses cohortes, & les surprit tellement, qu’ils prirent tous la fuite, fans qu’un seul se fût mis en défense. Au siège d’Alésie par les Romains, les Gaulois beaucoup supérieurs en nombre vinrent les attaquer dans leurs lignes. César ordonna à ses troupes d’en sortir , au lieu de les défendre j & de se jetter sur l’ennemi d’un côté , pendant qu’il l’attaqueroit de l’autre ce qui réussit encore avec tant de succès, que les Barbares y firent une perte considérable , fans compter plus de vingt Nv 298 Mémoires. mille hommes qui furent faits prisonniers avec leur Général. Sx l’on veut considérer la maniéré dont je range mes troupes , on concevra aisément qu’elles doivent se remuer avec plus de facilité que les longs bataillons. Car à quoi peuvent servir plusieurs bataillons fur quatre de hauteur, les uns devant les autres ? Ils font lourds à remuer ; tout les embarrasse, le terrein, le doublement &, si le premier est culbuté , il se renverse sur le second. Mais supposons qu’ils ne se rompent pas, il faudra toujours au second bataillon un long espace de temps avant qu’il puisse attaquer ; parce qu’il faut que celui qui a été rompu se soit rangé, ce qui est long car il faut qu’il s’étende entre l’ennemi & le bataillon qui le soutient ; & , si l’ennemi n’a la bonté de se tenir les bras croisés, il vous renversera certainement ce bataillon sur l’autre, & celui-là sur le troisième. Car , lorsqu’il aura renversé le Mémoires. 299 premier, il n’a qu’à pousser brusquement en avant ; sussent-ils trente, il les renversera tous les uns fur les autres. Voila cependant ce qu'on appelle attaquer en colonne par bataillons quelle, misere ! Mon ordonnance est bien différente. En effet, que le premier bataillon soit renversé , celui qui le suit charge dans Tinstant; cela va coup fur coup je fuis à huit de hauteur , & n'ai aucun embarras à craindre; mon choc est rude, & ma marche rapide je ne crains point la confusion , & je déborde toujours l’ennemi, quoi- qu’en même nombre. C’est , en vérité, une misere que l’ordre sur lequel nous combattons ; & je ne conçois pas à quoi les Généraux ont pense de ne savoir pas changé. Ce que je propose n’est point une nouveauté ; c’est Tordre des Fvomains avec cet ordre , ils ont vaincu toutes, les nations. Les Grecs étoient très- habiìes dans T art de la guerre, & trè&- 300 Mémoires. bien disciplinés j cependant leur grande phalange n’a jamais pu tenir contre ces petites troupes disposées en échiquier. Aussi Polybe donne-t-il la préférence à l’ordre des Romains. Que feroient donc nos bataillons, qui n’ont ni corps ni ame, contre ce même ordre ? Qu’on place ces centuries de telle maniéré que l’on voudra , dans la plaine, dans des pays coupés ; qu’on les faste sortir d’une gorge ou de quelqu’endroit que ce soit ; & qu’on voie avec quelle célérité elles se rangeront. On peut les faire courir à toutes-jambes pour s’em- parer d’un défilé , d’une haie, d’une hauteur ; &, dans l’instant que les drapeaux seront arrivés , elles seront alignées & formées. C’est ce qui est impossible avec de longs bataillons ; car, pour se mettre comme il faut, & pour bien marcher, ils ont besoin d’un ter- rein fait exprès & d’un temps considérable. Cela m’a fait pitié à voir, & m’a souvent donné le cochemar. M E M O I K E S. 30 £ J E ríavals point lâ Polybe en son entier ; lorsque j’achevai cet ouvrage. Voici ce que fy trouve sur iaphalange des Grecs , O fur l'orare de combattre des Romains. Jesuisfiattéd’a- voir pensé comme lui, qui étoit contemporain de Scipion , d’Annibal & de Philippe; & qui 9 pendant le cours des guerres que ces grands hommes ont soutenues , s’est trouvé dans les différentes armées , & y a eu des commande- mens distingués. Un auteurs illustre ne peut que justifier mes idées. C’ est P oly b e quiparle. x D ans mon sixième livre, f ai pro~ x mis de saisir la première occasion qui x se présenteroit de comparer ensemble -r les armes des Macédoniens & celles x des Romains , l’ordre de bataille des x uns & des autres ; 8c de marquer en r quoi l’un est supérieur ou inférieur à x l’autre. L’action que je viens de ra- x conter me l’ostre, cette occasion ; il » faut que je tienne ma parole. x Autke fois rordonnance des Ma- x cédoniens surpaffoit celle des Asiati- x ques & des Grecs. C’est un fait que » les victoires qu’elle a produites ne » nous permettent pas de révoquer en 502 Mémoires. » doute & il n’étoit pas d’ordonnance -> en Afrique & en Europe , qui ne le » cédât à celle des Romains. Aujour- 30 d’hui que ces différens ordres de ba- 30 taille se sont trouvés opposés les uns 30 aux autres, il est bon de rechercher 30 en quoi ils diffèrent, & pourquoi 30 l’avantage est du côté des Romains. 3o Apparemment que , quand on fera 30 bien instruit fur cette matière, on ne 30 s’avisera plus de rapporter le succès » des évenemens à la fortune, & qu’on os ne louera pas les vainqueurs fans con- 30 noissance de cause , comme ont cou- 30 tume de faire les personnes non éclai- 33 rées ; mais qu’on s’accoutumera en-' 30 fin à les louer par principe & par 33 raison. 33 Je ne crois pas devoir avertir qu’il - ne faut pas juger de ces deux manie- 30 res de se ranger , par les combats 30 qu’Annibal a livrés aux Romains, Sc 33 par les victoires qu’il a gagnées fur o» eux. Ce n’est, ni par la façon de s’ar- Mémoires. 505. » mer, ni par celle de se ranger, qu’An> x nibal a vaincu ; c’est par les ruses, -> & par fa dextérité. Nous savons fait » voir clairement dans le récit que nous » avons donné de ses combats. Si l’on x en veut d’autres preuves, qu’on jette x les yeux fur le succès de la guerre, x Dès que les troupes Romaines eurent x à leur tête un Général d’égale force, x elles furent victorieuses. Qu’on en x croie Annibal, Annibal lui-même, x qui, auffi-tôt après la premiere ba- x taille, abandonna l’armure Cartha- x ginoise ; & qui, ayant fait prendre x à ses troupes celle des Romains , n’a x jamais discontinué de s’en servir, x Pyrrhus fit encore plus ; car il ne se x contenta pas de prendre les armures, x il employa les troupes mêmes d’Italie x dans les combats qu’il donna auxRo- x mains. II rangeoit alternativement x une de leurs compagnies & une co- » horte en forme de phalange. Encore ce mélange ne lui servit-il de rien 304 Mémoires. » pour vaincre tous les avantages qu’ií » 1 remportés ont toujours été très- » équivoques. II étoit nécessaire que -> je prévinsse ainsi mes lecteurs , afin » qu’il ne se présentât rien á leur esprit » qui parût peu conforme à ce que je -> dois dire dans la fuite. Je viens donc à la comparaison des deux différens -> ordres de bataille. » C’ E s T une chose constante, Sc 30 qui peut se justifier par mille erv- » droits > que , tant que la phalange se » maintient dans son étai propre Sc na~ 30 turel, rien ne peut lui résister de front, 30 ni soutenir la violence de son choc. 30 Dans cette ordonnance , on donne 30 aux soldats en armes trois pieds de 30 terrein. La sarisse étoit longue de oo seize coudées ; depuis, elle a été rac- 30 courcie de deux, pour la rendre plus » commode Sc après ce retranche- 30 ment, il reste , depuis l'en droit où le soldat la tient, jusqu’au bout qui 30 passe derrière lui, Sc qui sert comme » Mémoires. z 05 de contre-poids à l’autre bout, qua- » tre coudées & par conséquent, si » la sarifle est poussée des deux mains » contre l’ennemi, elle s’étend de dix » coudées devant le soldat qui lapous- » se. Ainsi, quand la phalange est dans » son état propre, & que le soldat qui est à côté ou par derriere joint son » voisin autant qu’il le doit, les saisisses des second, troisième & quatrième » rangs s’ayancent au-delà du premier » plus que celles du cinquième, qui ne » les déborde que de deux coudées. » Or * comme la phalange est rangée » fur seize de profondeur , on peut ai- * sèment se figurer quel est le choc, le * poids & la force de cette ordonnance. * Il est vrai cependant qu’au-delà du * cinquième rang les saisisses ne font * d’ucun usage pour le combat auíîì * ne les allonge-t-on pas en avant; * mais on les appuie fur les épaules du * ran g précédent la pointe en haut ; * afin que, pressées les unes contre les -3 o 6 Mémoires. - autres, elles rompent l’impétuosité -> des traits qui passent au-delà des pre- » miers rangs, veut qu’il se remue commodément. » Chaque Romain , combattant » contre une phalange, a donc deux -> hommes & dix sarisses à forcer or , » quand on en vient aux mains, il ne les » peut forcer, ni en coupant, ni en » rompant ; & les rangs qui le suivent » ne lui sont, pour cela , d’aucun se- - cours. La violence du choc lui leroit - également inutile, &c son épée ne -> feroit nul effet. -> J’ai donc eu raison de dire que la » phalange , tant qu’elle se conserve » dans son état propre & naturel, est -> invincible de front ; & que nulle au- » tre ordonnance n’en peut soutenir l’es- » set. D’où vient donc les Romains » sont-ils victorieux ? Pourquoi la pha- -> lange est-elle vaincue ? C’est que , -> dans la guerre, le temps & lé lieu » des combats varient en une infinité » de maniérés, & que la phalange n’est » propre que dans un temps & d’une zo8 Mémoires. -, seule façon. Qand il s’agit d’une ac- » tion décisive , si l’ennemi est forcé -> d’avoir affaire à la phalange dans un » temps ou dans un terrein qui lui soient - convenables, nous savons déjà dit, » il y a apparence que tout l’avantage » fera du côté de la phalange mais, 11 l'on peut éviter l’un & l'autre , com- -, me il est aisé de le faire, qu’y a-t-il de -> si redoutable dans cette ordonnance ? -> Que pour tirer parti d’une phalange, » il soit nécessaire de lui trouver un ter-, -> rein plat, découvert, uni, sans fof- -, sés , fans fondrières , fans gorges, - fans éminences, fans rivières ; c’est -> une chose avouée de tout le monde. - D’un autre côté , l'on ne disconvient -, pas qu’il est impossible , ou du moins -, très-rare, de rencontrer un terrein de -, vingt stades ou plus, qui n’offre quel- »ques-uns de ces obstacles. Quel x> usage ferez-vous de votre phalange , -, si votre ennemi, au lieu de venir à » vous dans cet heureux terrein, fe ré- Mémoires. zo- ô» pand dans le pays, ravage les villes, » & fait le dégât dans les terres de vos » alliés ? Ce corps restant dans le poste o» qui }ui est avantageux, non seulement oo ne sera d’aucun secours à vos amis, v il ne pourra se conserver lui-même. v L’ennemi, maître de la campagne, o° sans trouver personne qui lui résiste, » lui enlevera ses convois , de quel- oo qu’endroit qu’ils viennent. S’il quitte v son poste pour entreprendre quelque -> chcse, ses forces lui manquent, & il oo devient le jouet de ses ennemis. Ac~ » cordons encore qu’on ira l'attaquer oo fur son terrein mais st l’ennemi ne oo présente pas à la phalange toute son r> armée en même temps , & qu’au mo- * ment du combat il l évite en se reti* -o rant, qu’arrivera-t-il de votre ordon-» oo nance ? II est facile d’en juger par la oo manœuvre que font aujourd’hui les » Romains. Car nous ne nous fondons » pas icj fur de simples raifonnemens , » pais fur des faits qui font ençorg tout 3 io Mémoires. » récens. Les Romains réemploient pas a> toutes leurs troupes pour faire un 33 front égal à celui de la phalange ; mais 35 ils en mettent une partie en réserve , 3> & n’oppofent que l’autre aux enne- 3> mis alors, soit que la phalange rom- 35 pe la ligne qu’elle a en tête, ou qu’el- » le soit elle-même enfoncée, elle sort 35 de la disposition qui lui est propre ; » jqu’elle poursuive des fuiards, ou » qu’elle fuie devant ceux qui la prêt- 33 sent, elle perd toute la force car, 30 dans l’un & l’autre cas , il fe fait des 35 intervalles que la réserve saisit pour 35 attaquer, non de front, mais en flanc, 35 & par les derrières. 5o En général, puisqu’il est facile d’é- 3> virer le temps & toutes les autres cir- 30 constances qui donnent l’avantage à 3o la phalange, & qu’il ne lui est pas 3o possible d’éviter toutes celles qui lui 35 sont contraires, n’en est-ce pas assez 3o pour vous faire concevoir combien sa cette ordonnance est au-dessous de Mémoires. zn » celle des Romains ? Ajoutons que -> ceux qui rangent en phalange te trou- » vent dans le cas démarcher par toutes » sortes d’endroits , de camper , de » s’emparer des postes avantageux , » d’assiéger , d’être assiégés ; de tomber » fur la marche des ennemis ? lorsqu ils -> ne s’y attendent pas car tous ces ac-i » cidens font partie de la guerre ; sou- » vent la victoire en dépend , quelque» » fois du moins ils y contribuent beau- -> coup. Or 3 dans toutes ces occasions, -> il est difficile d’employer b phalange, -> ou on l’emploieroit inutilement ; par- - ce qu’elle ne peut alors combattre, -> ni par cohorte, ni d’hornme à homme » au lieu que ^ordonnance Romaine , » dansces rencontres mêmes, ne souffre » aucun embarras. Tout lieu , tout -> temps lui convient l'ennsmi ne la » surprend jamais , de quelque part ?» qu’elje se présente. Le soldat Romain » est toujours prêt à combattre, soit v avcç l’armée entiers, soit avec quel- Mémoire s. -> qu’une de ses parties, soit par çom- » pagnie, soit d’homme à homme. » Avec un ordre de bataille dont 30 toutes les parties agissent avec tant de 33 facilité, doit-on être surpris que les 3o Romains , pour l’ordinaire, viennent 30 plus aisément à bout de leurs entre- 30 prises, que ceux qui combattent dans 30 un autre ? Au reste , je me fuis obligé 30 de traiter au long cette matière ; parce 30 qu’aujourd’hui la plupart des Grecs 30 s’imaginent que c’est une espèce de » prodige que les Macédoniens aient » été vaincus & que d’autres ignorent » comment & pourquoi l’ordonnance 30 Romaine est supérieure à la pha-, 33 lange 30. 1 CHAPITRE Mémoires. Si 3 CHAPITRE HUITIE’ME. De l'attaque des retranchemens. L Orsqu’on yeut attaquer un retranchement, il faut toujours tâcher de s’étendre le plus que l’on peut, pour donner de l’inquiétude par-tout à l’enne- mi ; afin qu’il ne dégarnisse aucun endroit , pour porter des troupes dans ceux qu’onveut attaquer, quand même il le verroit, & ce font autant de troupes inutiles. Alors tous les bataillons qui font pour faire montre doivent être à quatre de hauteur, & marcher en ligne tout le reste de la manœuvre doit fe faire derriere ceux-là ; & c’est ce qui s’appelie masquer l’attaque. Cette partie de l’art militaire dépend de ii- magination un Général peut broder ìà-destus tant qu’il lui plaît. Tout est bon car la certitude où il est de n’ê- kre point attaqué, lui permet de faire ce O I 314 Mémoires.' qu’il juge à propos ; & il peut profiter 4 tous les vallons, ravins, hayes , Sc de raille autres choses ; tout lui réussira. En faisant charger par centuries, l’on n’a point de confusion à craindre chaque centurion se fera une affaire particulière de l’honneur de son drapeau; & il est impossible que , dans le nombre , il n’y ait des hommes qui cherchent à risquer de sacrifier leur vie pour se distinguer ; parce que cela se voit par les drapeaux qui sont reconnoiffables $ç remarquables, chacun en particulier. En approchant du retranchement, on doit envoyer en avant des armés à fa légere, pour attirer le feu on doit les soutenir par d’autres troupes. Enfin, lorsqu’on voit la tiraillerie en train, ses centuries doivent arriver & donner avec furie. Si les premières font repoussées , les autres doivent leur succéder , avant qu’elles aient eu le temps de fuir ; Sc la force Sc le nombre surmontent les obstacles, En même temps* U r M O I k L 5. zry les centuries à quatre de hauteur doivent arriver , si vous êtes entré par plusieurs endroits à la-fois. Les bataillons ennemis qui font entre deux, Sc qui voient avancer la ligne , s’enfuient. Cette ligne se met sur le parapet ; ensuite l’on se forme , ôt l’ennemi, pendant ce temps-là fe retire ; parce qu’ii s’imagine avoir fait tout ce qu’il voit faire. Il y a encore une autre maniéré d’at- taquer des retranchemens, toute différente de celle-ci, Se qui est bien aussi bonne ; mais il faut que le terrein le permette , & il faut le connoître parfaitement. Lorfqu’il y a des ravins ou des fonds proche du retranchement, oà l’on peut faire couler des troupes pendant la marche, fans que l’ennemi s’en apperçoive , alors on marche à lui par plusieurs colonnes, à grande distance l’un de l’autre. II attache toute son attention sur ces colonnes , dispose ses troupes, Sc dégarnit son retranchement. O ij 5i 6 Mémoires. jLors donc que ces colonnes attaquent ; tout court à elles ; puis, tout d’un coup, les troupes qui íe sont cachées paraissent, &c donnent dans les endroits du retranchement que l'on a abandonnés. Ceux qui s’opposent aux attaques des colonnes, voyant cela , se déconcertent la tête leur tourne, parce qu’ils ne se sont point attendus à cela. Ils quittent donc ces attaques , sous prétexte de courir à la défense du retranchement attaqué par les autres ; inais la peur les fait fuir. La défense des retranchemens est yne partie de la guerre bien difficile ; parce que c’est une manœuvre qui intimide &c ôte le courage aux troupes ; & quoique j’aie dit ce qui me paroit de mieux à faire à ce sujet, & qu’il me semT ble que ce soit, de toutes les maniérés de défendre des retranchemens, la meilleure , cependant je n’en fais pas grand ça§ ; &, tant qu’il dépendra de moi, je í;e ferai point d’ayis qu’on en faste usa-? Mémoires; 317 ge. Les redoutes font mes ouvrages favoris ; 6c 11 faut que j’en parle. CHAPITRE NEUVIE’ME, íes redoutes , & de leur excellence dans les ordres de batailles. ï l me reste à justifier , par des faits J la bonté de mon opinion fur les redoutes. Avant la bataille de Pultavva , les armées de Charles XII, roi de,Suede 3 avoient toujours été victorieuses. La supériorité qu’elles avoient fur celles des Moscovites est prefqu’incroyable l’on a vu souvent dix à douze mille Suédois forcer des retranchemens gardés par cinquante j soixante & quatre vingt mille Moscovites, qu’ils ont défaits 6c taillés en pièces. Les Suédois ne s’in- formoient jamais du nombre des Russes , mais seulement du lieu oà ils étoient. Oiij Zi8 Memoibe s, Le Pia-re, le plus grand homme de son siécle , résista , avec une patience égale à la grandeur de son génie, aux mauvais succès de cette guerre , & ne cessoit de donner des combats pour aguerrir ses troupes. Dans le cours de ses adversités, le roi de Suéde mit le siégé devant Pulta- •wa. Le Czar tint un conseil de guerre , où les avis furent long-tems partagés. Les uns vouloient qu’on investît le roi de Suede avec l’armée Moscovite ; qu’on fît un grand retranchement pourl’obli- ger à se rendre d’autres Généraux vouloient qu’on brûlât tout lé pays à cent lieues à la ronde , pour affamer le roi de Suéde & son armée ; cet avis n’é- toit pas le plus mauvais, & le Czar y inclinoit d ? autres, Généraux dirent qu’il étoit toujours à temps d’en venir à cet expédient ; mais qu’il falloit auparavant bazarder encore une bataille; parcs que Pultawa & fa garnison courroient risque d’être emportés par l’opiniâtreté Mémoires. 319 3u roi de Suéde , qui y trouveroit un grand magasin & de quoi subsister, pour passer le désert qu'on prétendoit faire à Pentour de lui. On s’arrêta à cette opinion. Alors le Czar, ayant pris la parole , dit Puisque nous nous déterminons à combattre le roi de Suéde , il faut convenir de la maniéré , & cboisir la meilleure. Les Suédois font impétueux j bien disciplinés 3 bien exercés, & adroits nos troupes ne manquent pas de fermeté ; mais elles ne possèdent pas ces avantages il faut donc Rappliquer à rendre ceux des Suédois inutiles. Ils ont souvent forcé nos retran- chemens ; en rase campagne- nous avons toujours été battus , par Part & la facilité avec lesquels ils manœuvrent il faut donc rompre cette manœuvre, & la rendre inutile. Pour cela , je fuis d’a- vìs de m’approcher du roi de Suéde ; de faire élever, fur le front de notre infanterie, plusieurs redoutes, dont les fossés seront profonds j les faire fraiser O iv H 22 Mémoire?. & paliísader, 6e les garnir d’infanterie ; cela ne demande que quelques heures de travail & nous attendrons l’ennemi derriere ces redoutes. II faudra qu’il le rompe pour les attaquer il y perdra du monde, fera aíFoibli & en désordre, lorsqu’il nous attaquera. Car il n’est pas douteux qu’il ne leve le íîége, pour venir à nous, dès qu’il nou? verra à portée de lui; II faut donc marcher de maniéré que nous arrivions, vers la fin du jour, en fa présence, afin qu’il remette au lendemain à nous attaquer ; & pendant la nuit nous élèverons ces redoutes. Ainsi parla le souverain des Russes, 6c tout le conseil approuva cette disposition. li’on donna les ordres pour la marche, pour les outils, les fascines, les chevaux de frise, &c ; & le 8 Juillet 170P, le Czar arriva, vers la fin du jour, en présence du roi de Suéde. Ce prince, quoique blessé, ne manqua pas de déclarer à ses Généraux qu’il vouloir attaquer le lendemain l’armée Mémoires, Z2r íes Moscovites. On fit des dispositions, l’on s’arrangea, & l’on se mit en marche un peu avant le jour. Le Czar avoir établi sept redoutes fur le front de son infanterie elles étoient construites avec foin. II y avoir deux bataillons dans chacune j & toute l’infanterie Moscovite étoit derriere , ayant sa cavalerie sur les ailes. II étoit donc impossible d’aller à l’infanterie Moscovite, sans prendre ces redoutes ; parce qu’cn ne pouvoit les laisser derriere foi j ni passer entre deux, fans courir risque d’être abysmé par le feu. Le roi de Suéde & ses Généraux , qui ne sçavoient rien de cette disposition , ne virent de quoi il étoit question que lors- qu’ils eurent le nez dessus. Mais, comme la machine avoir été mise en mou- -vement, il fut impossible de l’arrêter , 6c de s’en dédire. La cavalerie Suédoise renversa d’a- bord celle des Moscovites,& s’empor- ta même trop loin j mais l’infanterie fut O y ^22 Mémoires. arrêtée par ces redoutes. Les Suédois les attaquèrent, & y trouvèrent une grande résistance. II n’y a point d'homme de guerre qui. ne fçache que , pour emporter une bonne redoute, il ne taille une disposition entiere ; que l’on emploie plusieurs Bataillons , pour l’atta- quer de plusieurs côtés à la fois, & que, bien souvent, l’on s’y caste le nez. Les Suédois en prirent cependant trois, non fans une grande perte, & furent repoussés aux autres avec grand carnage. II n’étoit pas possible que toute 1 infanterie Suédoise ne sût rompue, en attaquant cea redoutes ; pendant que celle des Moscovites, rangée en ordre , re- gardoit de deux cens pas ce spectacle fort tranquillement. Le roi & les Généraux Suédois virent le péril oà ils étoient ; mais i’inae- tion des Moscovites leur laissa entrevoir sespérance de se retirer; II n’y avoit pas moyen de pouvoir le faire en ordre ? cartout étoit rompu, attaquoit inutile- M E M 0 î B Ê S. ment,ou se laissoit tuer; & se retirer,étoit le seul parti que l’on pût prendre. On retira donc les troupes qui s’étoient emparées des redoutes, 6c celles qui se lailsoient abysmer auprès des autres. Il n’y avoir pas moyen, dis-je, de les former à portée du feu qui sortoit de ces redoutes ainsi le tout se retira mêlé,- & en désordre. Sur ces entrefaites , le Czar fit appeller ses Généraux, & leur demanda ce qu’il convenoit de faire. Monsieur Allart , un des moins anciens , lans donner le temps aux autres de dire leur avis, adressant la parole à son maître, lui dit Si votre Majesté n’attaque pas les Suédois dans ce moment , il n’en fera plus temps après. Sur le champ, la ligne s’ébranla , 6c marcha en bon ordre à travers les intervalles des redoutes, qu'on laissa garnies pour favoriser la retraite, en cas d’événement. A peine les Suédois s’étoient ils arrêtés pour se former'& pour se mettre O vj 524 Mémoires. en ordre, qu’ils virent les Moscovites iur leurs talons le désordre se mit parmi eux , & la confusion fut générale. Cependant ils ne fuirent pas encore ; ils firent même un effort de valeur, en retournant comme pour charger mais î’ordre , Pâme des batailles, n’y étant pas, ils furent dissipés fans résistance. Les Moscovites, qui n’étoient pas accoutumés à vaincre, n’oserent les suivre ; & les Suédois se retirerent en désordre , jusqu’au Boristhéne , où ils furent tous faits prisonniers. Voilà comme on peut, par d’habiles dispositions, se rendre la fortune favorable. Si celle-ci a fait vaincre les Moscovites, qui n’étoient point encore aguerris, & durant le cours de leurs adversités, quel succès n’en peut-on pas espérer chez une nation bien disciplinée, & dont le propre est d’attaquer ? Car , que l’on soit sur la défensive dans cette disposition , l’on conserve en plein l’avantage attaché à ceux qui attaquent ; parce qu’on fait M EMOIRÉS. Z2^ charger Pennemì par des brigades que l’on fait avancer à mesure que ces redoutes font attaquées. Ce choc se renouvelle souvent, & toujours avec de nouvelles troupes elles en attendent l’ordre avec imp atience , &, le font vigoureusement; parce qu’elles font vûes & soutenues , & sur-tout qu’elles ne craignent pas pour leur retraite. La terreur , qui s’empare quelquefois des armées, n’est point ici à craindre ; & vous vous rendez , pour ainsi, dire > le maître du moment favorable qui se trouve dans les batailles ; je veux dire celui où Pennemi se déconcerte. Quel avantage , quand on peut Pattendre, ce moment, avec aísurance ! Les Moscovites n’ont pas profité de tout ce que cette disposition leur offroit d’avantageux car ils ont tranquillement laissé prendre trois de ces redoutes à leur barbe, fans les secourir ; ce qui devoir décourager ceux qui les défendoient j intimider leurs troupes 3 16 Mémoires; & augmenter l’audacedes Suédois. On peut donc dire , avec apparence de vérité, que cette disposition seule a vaincu les Suédois, fans que les troupes Moscovites aient beaucoup contribué à la victoire. Ces redoutas font d’autant plus avantageuses, qu’il faut peu de temps pour les construire, & qu’ellessont propres à une infinité de circonstances, où une feule suffit souvent pour arrêter toute une armée dans un terrein resserré ; peur empêcher qu’on ne vous trou. ble dans une marche critique ; pour ap- puier une de vos ailes ; pour partager un terrein en deux ; pour occuper un grand terrein , lorfqu’on n’a pas assez de troupes, &c. Calcul du temps, b de ce qu’il faut pour construire une redoute . Excavation du fossé-144' il faudra Avec les régaleurs- -288 hommes. Pour les fascines-500 Pour les piquets- zoo Pour les palissades - -400 1488 Quatorze cens quatre-vingt-huit hommes férent une redoute en cinq heures de temps. Mémoires» Z2? CHAPITRE DIXIEME. Des espions & des guides. O N ne sçauroit trop faire attention sux espions 8e aux guides. M. de Mon- tecucttli dit qu’ils servent comme les yeux de la tête , 8e qu’ils font auflì nécessaires à un Général. II a raison on ne sçauroit trop employer d’argent pour les avoir bons. Ces gens doivent être choisis dans les pays où l’on fait la guerre. II fautvles prendre intelligens 8e adroits j en disperser par-tout cher les officiers généraux, chez les vivandiers , 8e sur-tout chez les pourvoyeurs des vivres ; parce que les approvision- nemens , les dépôts 8e les cuisions font juger des desseins de l'ennemi. Il faut que ces espions ne fe con- noissent pas les uns les autres ; 8e il en faut de plusieurs ordres les. uns propres à fe faufiler dans les compagnies, Z 28 MEMOIRE Si d’autres courant l’armée pour acheter & pour vendre. Ceux-ci doivent con- noîtfe chacun un de leurs compagnons du premier ordre, pour en recevoir ce qu’ils doivent aller porter au Général qui les paie. II faut charger de ce détail quelqu’un qui soit fidele & intelligent j lui faire rendre compte tous les jours, & être sûr qu’il ne puisse pas être corrompu. Je ne m'étendrai pas plus au long fur cette matière , qui, au reste , est un détail qui dépend de plusieurs circonstances , desquelles un Général peut profiter par fa prudence & par ses intrigues. CHAPITRE ONZIÈME. Des indices . I l y a des indices à la guerre qu’il est nécessaire d’étudier , & fur lesquels on peut juger-avec une espece de certitude. MEMOIRES. Z 29 La conooiffance qu’on a de l’enne-* mi &c de ses usages y contribue beaucoup ii y en a de communs à toutes les nations. Par exemple , lorsque , dans un siège , vous voyez vers le soir, à sho- tison & fur des hauteurs, des gens attroupés & désœuvrés qui regardent vers la ville , vous devez être sûr qu’il y aura une attaque considérable ; parcs que, dans les difFérens corps, il s’est fait des détachemens ; ce qui est cause que toute l’armée sçait qu’il y aura une attaque, &c que les désœuvrés choisissent les endroits éminens, vers la fin' du jour, pour pouvoir regarder à leur aise. Quand on entend beaucoup tirer dans le camp des ennemis, & que l’on est campé à fa portée, l’on doit s’atten- dre à avoir le lendemain une affaire ; parce que les soldats nettoyent & déchargent leurs armes. On peut juger, par la poussière, s’il '530 Mémoires; se fait un grand mouvement dans farinée ennemie ; ce qui n’arrive jamais fans quelques raisons. La poussière des fourageurs n’est pas de même que celle des colonnes ; mais il faut sçavoir s’y connoître. On juge aussi, à la lueur des armes > quand le soleil donne dessus , de quel côté se sait le mouvement. Si les rayons sont perpendiculaires ,1’ennemi marche à vous ; s’ils sont variés & peu fréquens, il se retire ; s’ils vont de la droite à la gauche, il marche vers fa gauche ; s’ils -vont, au contraire , de la gauche à la droite , il marche vers fa droite. S’il y a beaucoup de poussière dans son camp, qu’il n’ait pas fait de fourage , & que cette poussière soit générale, il renvoie ses vivandiers 8e ses équipages ; 8e vous devez vous assurerqu’il marchera bientôt. Cela vous donne le temps de faire vos dispositions, pour l’attaquer dans fa marche z parce que vous devez sçavoir s’il peut venir à vous, si c’est son Mémoires. zzr intention, & de quel côté il doit marcher vous en jugez par fa position , fes dépôts, fes approvisionnemens, par le têrrein , Se enfin-par toute fa contenance. Quelquefois il a fes fours fur fa droite, ou fur fa gauche. Si vous pouvez fçavoir le temps & la quantité de fa cuisson , & qu’une petite riviere vous couvre , vous pouvez faire un mouvement de côté ; puis, vous revenez brusquement sur vos pas , Òc vous envoyez dix à douze mille hommes pour attaquer ces fours ; vous les soutenez par toute votre armée qui arrive à mesure j & f expédition doit être faite avant qu’il ait pû y remédier ; parce que vous avez toujours quelques heures fur lui avant qu’il soit averti de votre mouvement ; outre qu’il fe passe encore un temps de l’avertissement à la certitude qu’il voudra toujours avoir avant que de s’ébranler; de maniéré qu’il recevra la nouvelle de l’attaque § 3 2 Mémoires; de son dépôt, avant qu’il ait otdonrte son mouvement. Ir, y a une infinité de pareilles ruseS à la guerre , qu’on peut employer sans trop se commettre, dont les suites font d’une auífi grande conséquence que •celles d’une victoire çomplette, Sc qu! obligent quelquefois l’ennëmi à venir vous attaquer à son désavantage > ou à se retirer honteusement, quoique supérieur en nombre z Sc vous n’avez 3 dis-je ,que peu ou point risqué. CHAPITRE DOUZIE’ME. Des qualités que doit avoir un Général d’armée. J E me forme une idée du Général ' d’armée qui n’est point chimérique ; j’ai vu de s hommes tels que je vais les peindre. La premiere de toutes les qualités est la valeur, fans laquelle je fais peu de cas des autres, parce qu’elles MEMOIRES. 333 deviennent inutiles. La seconde est l’^sprit -, un Général doit être coura* geux &c fertile en expédiens. La troL siéme est la santé. Ir faut avoir le talent des promptes & heureuses ressources, l’art de pénétrer les hommes, & de leur être impénétrable , la capacité de se prêter à tout , l’activité jointe à l’intelligence, Fhabileté de faire en tout un choix convenable, & la justesse du discerne., ment. Un Général doit être doux, & n’a-^ voir aucune espece d’humeur ; ne sça» voir ce que c’est que la haine ; punir sans miséricorde , & sur-tout ceux qui lui sont les plus chers ; mais jamais ne se fâcher ; être toujours affligé de se voir dans la nécessité de suivre , à la rigueur, les réglés de la discipline militaire , & avoir toujours devant les yeux Fexemple de Mml'tus s s’ôter dc Fidée que c’est lui qui punit, & se per* suader à Jui-mêine , & aux autres , qu’i 534 Me moi re, s. ne fait qu’administrer les loix militaires. Avec ces qualités, il se fera aimer,' craindre , 6c sans doute obéir. Les parties d’un Général font infinies sart de sçavoir faire subsister une armée , de la ménager ; celui de se placer de façon qu’il ne puisse être obligé de combattre que lorsqu’il le veut ; de choisir ses postes ; de ranger ses troupes en une infinité de maniérés ; enfin, de profiter du moment favorable qui fe trouve dans les batailles , ôc qui décide de leur succès toutes ces choses font immenses, & auffi variéesr que les lieux & les hasards qui les produisent. Pour les voir, il faut qu’un Général d’armée ne soit-occupé de rien un jour d’affaire. L’examen des lieux, 6c celui de son arrangement pour ses troupes , doivent être prompts comme le vol d’une aigle- Sa disposition doit être courte & simple ; il doit se contenter dç dire L& prmiere ligne attaqmra , U Mémoires. 335- seconde soutiendra ; ou , tel corps attaquera , & tel soutiendra. Il faudroit que les Généraux qui font fous lui fuífent bien bornés, s’ils ne fçavoient pas exécuter cet ordre ôc faire la manœuvre qui convient, chacun à fa division. Ainsi le Général ne doit pas s’en occuper , ni s’en embarrasser car , s’il veut faire le sergent de bataille & être par-tout, il sera précisément comme la mouche de la fable , qui croyoit faire marcher un coche. Il faut donc qu’un jour d’affaire un Général d’armée ne fasse rien il en verra mieux, fe conservera le jugement plus libre , & sera plus en état de profiter des situations où fe trouve l’enne- mi pendant la durée du combat ; 6c, quand il verra fa belle, il devra baisser la main , pour fe porter à toutes jambes dans l’endroit défectueux, prendre les premieres troupes qu’il trouvera à portée , les faire avancer rapidement, & payer de fa personne ç’est C ç quj Zz6 Memoikes; gagne les batailles, & les décide. Je ne dis point où, ni comment cela doit se faire ; parce que la variété des lieux & celle des dispositions que le combat produit, doivent le démontrer le tout est de le voir, & de fçavoir en profiter; M. le Prince Eugène possédoit, dans la grande perfection, cette partie, qui est la plus sublime du métier, & qui prouve le plus un grand génie je me fiais fait une application d’étudier ce grand homme ; &c , fur ce point, j’oíe croire que je l’ai pénétré. Bien des Généraux en chef ne font occupés, un jour d’affaire, que de faire marcher les troupes bien droites, de voir si elles conservent bien leurs distances , de répondre aux questions que les aides de camp leur viennent faire » d’en envoyer par-tout, & de courir eux-mêmes fans cesse enfin , ils veulent tout faire ; moyennant quoi, ils ne £ont rien. Je les regarde comme des gens à qui la tête tourne , êc qui ne yoienç MEMOIRES. 537 Voient plus rien , qui ne íçavent faire que ce qu’ils ont fait toute leur vie , je veux dire mener des troupes méthodiquement. D’où vient cela ? C’est que très-peu de gens s’occupent des grandes parties de la guerre ; que les officiers passent leur vie à faire exercer des troupes, Sc croient que l’art militaire consiste dans cette partie feule lorsqu’ils parviennent au commandement des armées , ils y font tout neufs; Sc faute de fçavoir faire ce qu’ilfaut, ils ne font que ce qu’ils fçavent. L’une de ces parties est méthodique J je veux dire la discipline, Sc la maniéré de combattre ; Sc ì’autre est sublime. Aussi ne faut-il point choisir, pour celle-ci, des hommes ordinaires pour l’administrer. ' . Si un homme n’est pas né avec les talens de la guerre, Sc que ces talens ne soient pas perfectionnés, il ne fera jamais qu’un Général médiocre. Ii en est de même de tous ies talens il faut £ Mémoires; être né avec celui de la peinture, pour être un excellent peintre ; avec celu 1 de la musique, pour en composer de bonne , &c. Toutes les choses qui visent au sublime sont de même c’est pourquoi l’on volt si rarement des gens qui excellent dans une science , qu’il se passe des siécles fans en produire. Inapplication rectifie les idées , mais elle ne donne jamais l’ame ; c’est l’ouvrage de Ja nature. J’ai vu de fort bons colonels devenir de très-mauvais Généraux. J’en ai connu d’autres qui étoient grands preneurs de villes, excellens pour manœuvrer dans une armée', qui, à les ôter de-là, n’étoient pas capables de mener mille chevaux à la guerre, à qui la tête tournoit totalement, & qui ne sçavoient prendre aucun parti. Si un pareil homme vient à commander une armée , il cherchera à se sauver par les dispositions ; parce qu’il n’aura point d’au- Çres ressources, Pour les faire mieujî Mémoires. Comprendre, il embrouillera la tête à toute son armée à force d écritures. La moindre circonstance changeant tout à la guerre , il voudra changer fa disposition , mettra tout dans une confusion horrible, & infailliblement il fe fera battre. On doit, une fois pour toutes , établir une maniéré de combattre, que les troupes doivent fçavoir, ainsi que les Généraux qui les menent. Ce font des réglés générales ; comme , qu’il faut garder ses distances dans la marche ; que , lorsque l’on charge, il saut lé faire vigoureusement ; que , s’il fe fait des trouées dans la premiere ligne, c’est à la seconde à les boucher. II ne faut point d’écritures pour cela c’est l’A, B, C des troupes ; rien n’est si aisé ; & le Général ne doit pas y donner toute son attention, comme la plupart le sont. Mais ce dont il doit bien s’occuper, c’est d’óbferver la contenance de l’en- tiemi } le? mouvemens qu’il fait, où i] Pif 54° . Mémoires. porte des troupes; de chercher à lui don* jjer du soupçon dans un endroit, pour lui faire faire quelque fausse démarche; le déconcerter ; de profiter des momens, & de sçavoir porter le coup de la mort oh il faut. Mais, pour tout cela, on doit se conserver le jugement libre, &n’être point occupé des petites choses. Je ne fuis cependant point pour Jes batailles, fur-tout au commencement d’une guerre ; & je fuis persuadé qu’un habile Général pourroit la faire toute sa vie s sans s’y voir obligé rien ne réduit tant l’ennemi que cette méthode, & n’avance plus les affaires. II faut donner de fréquens combats, & fondre , pour ainsi dire , l’ennemi petit à petit ; après quoi, il est obligé de se cacher, ' Je ne prétends point dire, pour cela,’ qu’on n’attaque pas l’ennemi, quand pn trouve l’ de J’écrafer, ôc qu’on ne profite pas des fausses démar* ches qu’il peyt faire mais je veux dirç Memoikes. 341 que l’on peut faire la guerre, sans rien donner au hazard; & c’est le plus haut point de perfection & d’habileté d’un Général. Mais, quand on fait tant que de donner bataille , il faut fçavoir tirer profit de la victoire; & fur-tout ne point se contenter d’avoir gagné un champ de bataille , comme on fait ordinairement. On suit régulièrement les paroles d’un proverbe qui dit , qu’il faut faire un pont d’or à ì’ennemi. Cela est faux ; au contraire faut le pousser , & le poursuivre à toute outrance toute cette retraite , qui paroît fi belle , se convertira bientôt en déroute. Dix mille hommes détachés détruiront une armée de cent mille qui fuit rien n’inse pire tant la terreur, & ne cause tant de dommage à l’ennemi, duquel on se défait souvent pour une bonne fois. Mais bien des Généraux ne se soucient pas de finir la guerre sitôt. Si je voulois citer des exemples 3 Piij Z4-2 Mémoires; pour appuier ce que je viens de dire; j en trouverois une infinité ; mais je me contenterai de rapporter celui-ci. A la bataille de Ramillìes , comme l’armée Françoise se retiroit, en très- bon ordre, fur un plateau assez étroit bordé des deux côtés de profonds ravins-, la cavalerie des alliés la suivoit à petit pas, comme à un exercice ; sc l’armée Françoise marchoit auífi fort doucement sur vingt lignes, & plus peut-être, parce que le terrein étoiç étroit. Un escadron Anglois s’approcha de deux bataillons François, & se mit à tirailler ces deux bataillons, croyant qu’ils alloient être attaqués, firent volte face , & firent une décharge fur cet escadron. Qu’arriva-t-il? Toutes les troupes Françoises lâchèrent pied au bruit de ce feu ; la cavalerie s’enfuit à toutes jambes, & toute l’infanterie se précipita dans les deux ravins avec une confusion horrible ; de façon que, dans un moment, le terrein fut libre j sc l'on ne vit plus personne, Mémoires» 543 Que l’on vienne me vantes , après cela , le bon ordre des retraites, ôe la prudence de ceux qui font un pont d’oe à l’ennemi, après qu’ils l’ont défait en bataille je dirai qu’ils servent mal leutf maître. Je ne dis pas qu’il faille s’aban- donner, avec toutes ses troupes , pour suivre l’ennemi. Mais il faut détacher des corps, & leur ordonner de pousser, tant que le jour durera, en bon ordre. Car, lorsque l’ennerai fuit une fois, on le chasseroit avec des vessies. Si le corps que vous envoyez se met à escaôronner &c à marcher avec précaution, c’est-à-dire, qu’il fasse la manœuvre , ce n’est pas la peine de l’envoyer* IIfaut qu’il attaque, pousse & poursuive sans cesse. Toutes les manœuvres font bonnes alors ; les sages seules ne valent rien. Ainsi je ne parlerai pas ici de retraites dans un chapitre particulier ; & je finirai en disant qu’elles dépendent $n tout de la capacité des Généraux, Piv J 44 Mémoires. des différentes circonstances, & des situations. Au reste, ii n’y a de belie retraite que lorsqu’elle se sait devant un ennemi qui agit mollement car, s’il poursuit à toute outrance, elle se convertira bientôt en déroute. *-*-*-& ê Ê 34; 'J'íf" ^ ’lj' IjJ* l^i i^í> ijc í^4 , 4>í4' 'L »4-4-444> Ii7 'M"i*'î"î-i' jG RÉFLEXIONS Sur la propagation de l’espece humaine * . Aîke’s avoir traité d’un art qui nous instruit , avec méthode, à la destruction du genre humain , je vais tâcher de faire connoître les moyens aux- *} Mon intention tFétoit pas d’sbord do mettra ces réflexions au jour mais je m’y fuis déterminé , afin de faire connoître que ce ne font pas des sottises ni des infamies , comme certaines personnes ont voulu le persuader quoiqu’elles ne les enflent jamais lues, & qu’elles n’cn ont amais rien Içû que par oui-dire. On,verra, au contraire, que tout ce que Fauteur dit à ce sujet est à bonne intention ; puisqu'il croyoit que ce seroit un moyen de peupler le monde , en détruisant la débauche &le libertinage; mais, s’il s’est trompé, doit-on regarder cette erreur comme un crime ? Je pense , & jc crois que tout le monde pensera de même, .que M. le Maréchal de Saxe étoit plus grand Général que grand Légiste, & que ces mariages limités qu'il propose , 'au lieu de faire un bien , feroient au contraire un désordre afh'eux dans la société. Car, combien d’enfans fans biens,fans éducation t périioient de misere , lorsqu’ils seroiens- Pv 34 6 Réflexions. quels on pourroit avoir recours, pour en faciliter la propagation. Il n’y a sortes de choses dont on ne s’avise, lorsqu’on n’a rien à faire on abandonnés par le caprice d’un père , ou d’une mere ! Ne vaudroit-il pas mieux que la terre ne fût habitée que par peu d’hommes qui fussent à leur aise , que d’ètre peuplée d’une multitude de misérables & de vagabonds, qui nous retraceroient les ravages de ces nations barbares qui innonderent & désolèrent toute l’Europe î Cette liberté de fe marier & de fe quitter feroit, d’ailleurs, de bien petite conséquence pour la propagation. Qu’y gagneroit-on ! Rien ; linon que l’on feroit, par arrêts autentiques, ce que l’on fait déja tacitement. Si le nombre des hommes diminue , n’en attribuons point la cause aux liens du mariage malheureusement aujourd’hui l’on n’est rien moins qu’efclave de la foi conjugale; & , lorsque les époux ne s’accotnmodent plus, chacun cherche de son côté ; moyennant quoi, peu de chose se perd. Il y a eu autrefois des maladies épidémiques, comme la peste, lalepre & la ladrerie, qui ont fait des ravages affreux ; & ce mal, que nous appelions vénérien , n’a fait que remplacer d’autres maladies qui nous font inconnues à présent. Toutes ces miferes humaines n’ont pas tant fait de ravages dans le monde, que ce mal contagieux qui régné aujourd’hui, je veux dire , le luxe & la mollejje , qui font cette maladie contraire à la propagation. Autrefois •" elle n’étoit connue que dans les palais des Grands, maintenant elle gagne jusques dans les hameaux. C’est elle qui multiplie nos besoins, & qui fait que les enfans deviennent à charge aux peres & aux me- res ; parce qti’il leur coure beaucoup de les élever , & de les entretenir. Nous ne sommes plus dans ces temps heureux, où la /implicite & la frugalité n’é- toient pas une honte aujourd’hui le fils d’un manant est élevé avec plus de faste & de délicatesse que Réflexions; 347 réfléchit sur les plus élev ées, ainsi que fur les moindres. La diminution extraordinaire dans le monde, depuis Jules César, a souvent attiré mon attention. II est certain que les peuples innombrables qui habitoient l’Asie, la Grece, la Scythie , la Germanie, les le fils de son prince. Que l’on examine la prodigieuse quantité de personnes mariées & non mariées qui vivent dans le célibat. & qui renoncent aux loix du mariage, fous prétexte de la répugnance qu’elles ont de Iaider des enfans pauvres ; & l’on verra que c’est une des causes qui contribuent le plus à la dépopulation. Mais, aï, reste, si l’on fait réflexion combien Mute la nature est sujette à des révolutions , l’on fera porté à .roire que , dans le cours des temps , il se rencontre des siéçles qui font les uns plus, les autres moins propres à la propagation. Les productions de la terre ne sont-elles pas variées ? Et ne remarquons-nous pas des années abondantes & stériles ; S’ilya des influences qui causent la stérilité de la terre, n’est-il pas vraisemblable qu’il y en a qui agissent également furies animaux! N’en doutons pas ; puisque nous voyons des climats bien plus favorables à la propagation les uns que les autres , comme la province de Kianshi, à la Chine, cùles femmes font si fécondes, qu’elles font toujours enceintes , & mettent trois à quatre enfans au monde à la fois. Cetre fécondité peuple le pays d’une si grande multitude d’habitans, que son abondance Sc fa fertilité ne peuvent les nourrir, quoique la récolte s’y fasse deux à trois fois Tannée enserre que la plupart font obligés d’aller chercher fortune ailleurs , Si de vivre errans dans les différons Etat d’Afie, '348 Réflexions. Gaules , l’Italie & l’Afrique , ont disparu à mesure que la religion Chrétienne s’est étendue en Europe , Lc la Mahométane dans les autres parties da Monde. Cette diminution va toujours en augmentant. II y a environ soixante ans que M. de Vauban fit le dénombrement des habitans qui étoient eu France ; il s’en trouva vingt millipns il s’en faut bien que ce nombre y soit à présent. Je suis persuadé que l’on sera y n jour obligé de faire quelque changement dans la religion à cet égard car, fi l’on considéré combien les usages qui y font établis font contraires à la propagation , l’on ne fera point étonné de cette diminution. Le mariage y est opposé , ainsi que l’éducation. Les plus belles années se passent dans l’attente d’un mari; la nature cependant ne perd point ses droits, & la Jeunesse fait des choses qui détruisent les parties de la génération. La coquetterie, la débau- REFLEXIONS. tîie Raccompagnent partout ; & la réputation de passer pour vierge ne contribue pas peu à la diminution de l’efpece» Il faut ajouter à cela, que telle femme qui ne fait point d’enfant avec le mari qu’elîe a, en íeroit avec un autre ; parce que souvent les dégoûts s’en mêlent , le mari & la femme ne font que languir ensemble ; & tout le système en général est contraire aux loix de la nature. Selon la sainte écriture, le premier commandement que Dieu fit à l’homme est Croisez, & multipliez, de tous, c’est celui auqueì on fait le moins d’attention. Si l'on refuse à la nature ce qu 7 elle demande , la faculté d'engendrer se perd ; & de cent femmes qui fe livrent au manège des filles, à peine y en a- t-il dix capables de génération. Combien donc de femmes inutiles dans ua Etat, & peu propres à remplir les devoirs pour lesquels Fauteur de la na- 5/0 Réflexions. ture les a créées ! Qu’on examine par s tout, dans les villes & à h campagne, si l’on ne trouvera pas dix filles, contre une femme, en état d’avoir des en- fans. U n Législateur qui formeroit un système sur la propagation , en faisant des loix sages, détruiroit la débauche ; parce qu’elle n’est point dans la nature , & qu’elle ne tire son origine que des loix qui sont opposées à la propagation. Ce Législateur formeroit les fondemens d’une monarchie redoutable à toute la terre. Pour cela, il fau- droit établir , par l’éducation, que la stérilité vient de la débauche, & y attacher de la honte dès l’âge de quinze ans ; que plus une femme auroit d’en- fans, plus fa situation seroit heureuse ; ce qui pourroit se íairp, en ordonnant que le dixième jour, soit du revenu des enfans, ou de l’ouvrage de leurs mains, seroit consacré à la mere ; alors cette mere emploieroit toute son indus- Réflexions. 3 $$ trie à les élever, pour se faire, par leur nombre, un avenir heureux. II íaudroit aussi faire une ordonnance, par laquelle chaque mere qui auroit une sois présenté au magistrat dix en- fans vivans , auroit ioo écus de pension ; celle qui en auroit présenté quinze , yoo ; & celle qui en présenteroic vingt, 1000. Cette perspective , pour des gens du commun, feroit qu’ils em- ploieroient toute leur industrie à les bien élever, & s’en feroient, dès leur jeunesse, un point capital ; les meres ne prêcberoient autre chose à leurs filles. On pourroit m’objecter que les peres craindroient de se charger de trop d’enfans. Mais je réponds à cela qu’ils coûtent peu tant qu’ils font petits ; & l’on a toujours remarqué que plus un artisan ou un paysan a d’enfans , mieux vont ses affaires ; parce que , dès sage de dix-sept ans, il les emploie à quelque chose, 35*2 Réflexions. Mais, pour parvenir plus efficacement à bien peupler, il faudroit établir, parlesloix, qu’aucun mariage, à l’avenir, ne se feroit que pour cinq années ; & qu’il ne pourroit se renouveler sans dispense, s’il n’étoit né aucun enfant pendant ce temps mais aussi, que les mêmes époux qui au- roient renouvelle leur mariage jusqu’à trois fois, & qui auroient eu des en- fans, seroient inséparables, & devroient vivre ensemble le reste de leur vie. Tous les Théologiens du Monde ne íçauroient prouver l'impiété de ce système , parce que le mariage n’est établi que pour la population. Si la religion Chrétienne est contraire à la propagation , en rendant les mariages'indissolubles, & en ne permettant qu’une feule femme, la Mahométane ne l’est pas moins, qui en accorde la pluralité car, dans ce grand nombre de femmes enfermées , une feule ordinairement s’empare du cœur ZyZ de son maître ; & les autres, qui deviennent ses servantes , restent inutiles. ,Tous les hommes exercent un pouvoir tyrannique fur ce sexe charmant ; parce que ce sont eux qui ont fait les loix, & que ces loix leur sont commodes. Les Turcs les enferment, & nous les tyrannisons par les préjugés. Voilà d’où vient la fausseté dans les femmes; parce qu’elles font continuellement contraintes de déguiser ce qu’elles pensent , tout notre système à leur égard h’étant point dans la nature. Si les femmes étoient en droit de se choisir des maris selon leur inclination, & pour un temps limité , on ne leur verroit point faire de choses contraires à la nature, ni de celles où elles courent risque de la vie ; le temps des amours viendroit, & ce temps seroit tout employé à l’amour ; l’on ne verroit point de débauche, parce que les hommes , ni les femmes n’y auroient point recours pour satisfaire aux loix de ìa z 54 Réflexions; nature, qui est sage ; & cette facilité de se marier & de se quitter seroit que tout le monde se marieroit. On arrête- roit par-là les progrès continuels du mal contagieux qui insecte toute la terre, & qui altéré de jour en jour l’es- pece des hommes. Pour être certain de cette vérité, il n’y a qu’à considérer la différence entre les peuples où ce mal a commencé à faire ses premiers progrès, & ceux où il est moins connu. Voyons, par un calcul raisonné, la différence du plus ou du moins que cela apporteroit à la propagation. Lossque les femmes ne produisent qu’une fille chacune , que nous nommerons femme , une femme n’aura produit , à la dixième génération, qu’une femme à l’Etat. Nous voulons prendre six générations chacune de 30 ansj ce qui fera 180 ans. REFLEXIONS. SSl Si une femme en produit deux ta premìere .. a Lis r fécondes .... 4 Les 4 troisièmes .... S Les 8 quatrièmes . • . iS Les 16 cinquièmes . . zr Les 31 sixièmes .... 64 femmes en 180 ans. Ainsi la différence fera de 1 d 6^, Ji elles en font deux au lieu i’une. Si elles en produisent en trente ans ; trois > qui est un nombre tout commun & tout ordinaire pour celles qui íe mettent à en faire; 6c que, parmi celles- là, il s’en trouve qui passent ce nombre de beaucoup je suppose que toutes les femmes agissent de bonne foi, par principe de religion , par leur intérêt » ou selon les loix de la nature La premiere . • »... 8 La troisième • •...• 9 La neuvième ...... 27 La vingt - septième ••. 81 La quatre-vingt-unième. 163 La centsoixante-troìjiêm ^.^.%9 femmestn X80 an*i En y ajoutant autant d'hom- mes > cela feroit ... 978 Par conséquent . 91*6 57800 978000 Dix femmes Cent . . Mille . > Cent mille ......... 9/800000 Va millioa 97800900e Réflexions. Ainsi, un million de femmes, qui est à peu près la dixième partie de celles qu’il y a en France, auront produit en cent quatre-vingts ans, neuf cent soixante - dix - huit millions d’ames , lors- qu’elles auront fait chacune six enfans. Ce nombre est énorme ; lors même qu’on en retrancheroit les trois quarts 3 U seroit prodigieux. FIN, àAê-O-MGO-KKGAGGGO TABLE P ES CHAPITRE S. LIVRE PREMIER. Des parties de détails. C Hapjtre Premier. De la maniéré àe lever des troupes, de celle de les habiller, de les entretenir , de les payer , de les exercer , & de les fermer pour le combat , pag. iy Article Premier. De la maniéré de lever les troupes , ibid. Art. II. De l'habillement , z i Art. III. Deientretìen des troupes, 29 Art. IV. De la paye, 59 Art. V. De r exercice , Art. VI. De la maniéré de former les troupes pour le combat, 44, CHAP. II. De la légion, 6 3 Chap. III. De la cavalerie. De fe$ armures & de ses armes, Du pied de la cavalerie. Comment elle doit fe for-. TABLE mer , combattre.& marcher. D^ mou* vemens. Des fourages au verd & ait sec. Des pâtures. Des tentes, & de la maniéré de camper. Des partis ou dé- tachemens , 9 8 Article Premier. je la cavalerie en général, ibid. ART. II. Des armures de la cavalerie, 104 Art. III. Des armes du cavalier , & de rharnachement du cheval , m Art. IV. Dapied de la cavalerie. Comment elle doit se former , combattre & marcher, 120 Art. V. Des fourages au verd , & des pâtures y 130 Art. VI. Des fourages aufec, 134 Art. VII. Des tentes ,& de la maniéré de camper de la cavalerie , 135 Art. VIII. Des parties ou détachemens de la cavalerie légere , 138 Chap. IV. Dissertation fur la grande manœuvre , 143 Chap. V. Des armes â feu , & de la méthode de tirer, 160 Chap. VI. Des drapeaux ou enseignes , 16s CHAP. VII. Del’artillerie & du charoir, 169 Chap, VIII, De la discipline militaire, 17 5 . DES CHAPITRES. LIVRE SECOND, Des parties sublimes. C Hapitre Premier. De la fortification , attaque & défense des places, pag. 184 Chap. II. Réflexions fur la guerre en générai, zoo Description de la Pologne, & projet de guerre pour une pnijfance qui fc trouverait dans le cas de la faire à cette République , 210 Calcul du temps qtiìl faudra à quarante mille huit cens hoíiimes, pour construire unfort,suivant mon fyftème , 2 j r Chap. III. De la guerre dans les mon* tagnes , 259 Chap. IV. Des pays coupés } remplis de haies & de f0fiés, z61 CHAP. V. Des passages de rivières , 264 ChAP. VI. Des différentes situations, pour camper les armées & pour corn* battre , 27 ; Chap. VII. Des retranchement & des lignes, 288 Chap. VIII. jje /’attaque des retran - çhçmens, 3 1 j TABLE DES CHAPITRES. Chap. IX. Des redoutes, & de leur excellence dans les ordres de batailles t 3i7 Chap. X. Des espions & des guides , 327 Chap. XI. Des indices, 3 Chap. XIL Des qualités que doit avoir un Général d'armée , 332, Réflexions fur la propagation de íefpect humaine, 3 4 J Fiíi de la Table des Chapitres. AMUSE MENS SERIEUX? A MESSIEURS LES MILITAIRES» Pourservir de suite aux Mémoire4 précédent. I L E S Ecrits suìvans fartent de la plume dlOfficiers d'une expérience consommée ; ils tendent à la perfection dit grand Art de la guerre, & on ne peut que fçavoir gré à l’Editeur de les avoir placés ici en forme de supplément à un ouvrage compose pour la même fin } çr universellement eslimé. i RÉFLEXIONS SUR LA LECTURE, Adressées à Monsieur De ***** La LeBure eft particulièrement nécejfairt aux Militaires, Les Militaires doivent être plus injlruits &* ' plus vertueux que les hommes des autres Etats. E S exhortations à la vertu font nécese JL —i faires ; mais le fruit n’en est pas certain r Elles y disposent le cœur, & la lecture qui nous présente à chaque pas des exemples de vertu , & qui nous en fait voir les récompenses , & la gloire immortelle qui la fuit, le persuade & l’entraíne. Les couleurs avec lesquelles on peint les vices, peuvent bien frapper ^imagination & disposer le cœur à ses fuir ; mais la lecture qui nous met devant les yeux les exemples des monstrueuses actions des hommes vicieux, & l’exccration. éternelle quelles leur ont at- a jj îv REFLEXIONS tirée , porte dans le cœur l’horreur du vice J Sf le détermine à l’éviter. L’ignorance & les fausses démarches caractérisent la jeunesse de Fhomme. Les chan- gemens heureux qu’on voit en lui à mesure qu’il viellit, font les fruits de l’expérience ; on consulte un vieillard on lui confie les affaires importantes ; cependant ce vieillard n’avoit » étant jeune, aucune considération. Pourquoi ï’àge lui en donne-t-elle ? C’est fans doute parce qu’ayant vécu longtems, il a vû beaucoup d’exemples de vertus & de vices. L’expérience donne effectivement quelques leçons de conduite ; mais ces leçons font bornées & toujours d’une réglé peu sure c’est le hazard qui les donne. Qui se borne à ces leçons , court risque de ne savoir que peu de chose , ou de sçavoir pe qu’il doit faire, quand l’âge lui ôte le pouvoir d’agir. La lecture supplie à l’áge ; elle fait acquérir en peu de tems ce que bien des années ne peuvent jamais procurer, & donne aux jeune? gens des connoiílances préférables à l’expérience des vieillards. C’est par la lecture que nous pouvons faire revivre les hommes illustres de tous les siécles » converser avec eux, écouter leurs leçons, examiner leurs démarches. Ce font des mqt SURLALECTURE. f Zélés qui nous montrent ce que nous devons être j & des guides qui nous tracent le chemin de la vertus La lecture étant donc utile aux liommës , examinons à quel état elle est le plus nécessaire. Le Laboureur, & tous les hommes occupés dans les campagnes à la culture des terres » ont peu besoin de lecture. Ils naiíïènt dans le sein d’une société d’hommes assez éclairés par la simple religion, pour suivre les Joix innocentes de la Nature & de í’honnéte homme; & le travail pénible qu’ils commencent en naillànt, pour ne le quitter qu’en mourant, ne laide aucune prise à l’oisiveté & à rambinon pour corrompre leurs mœurs quelques lectures, cependant, peuvent les rendre plus habiles dans Tagnculture & suppléer à l’ex- périence. La lecture n’est pas efîèntielle aux Artistes; l’habitude peut conduire leurs bras ils peuvent, en répétant toujours le même travail, parvenir à le faire, ou mieux, ou plus promptement ; & la perfection qu’ils remarquent clans les ouvrages des autres, peut leur faire naître le désir d’y atteindre, & leur servir de leçon. La lecture cependant de quelques Traités relatifs à leurs Arts , & celle de la aiij v; REFLEXIONS vie & cîes ouvrages des Artistes célébrés ne peut que leur être très-avantageufe, soit pour les perfectionner, soit pour exciter en eux le désir de se distinguer. Le Négociant doit Rappliquer à un genre de lecture aster étendue ; il risque une décadence subite , s’il n’est qu’ambitieux de s’en- richir & s’il ne sçait que compter ; il doit connoître les pays qui l’environnent, les hommes qui les habitent , & s’en attirer la confiance ; il doit étudier les évenemens, apprendre à les prévoir & .à trouver des ressources à ceux qu’il n’a pas prévus ; il doit avoir une connoistance sûre de toutes les productions de la Nature & de l’Art, & des usages que les hommes en font, suivant les saisons & les climats qu’ils habitent. La lecture donne au Commerçant toutes ces connoisiances que l’expérience & les voyages ne donnent qu’im- parfaitement , trop lentement & toujours avec des risques infinis. L’état le plus opulent & le plus fastueux semble n’avoir pas besoin de beaucoup de lecture. Le Financier ignorant, grossier & peu instruit, accumule des richesses & parvient au rang des Nobles. S’il lisoit cependant, il pourroit devenir plus humain , & acquérir ce qui lui manque , potjr mériter la con- SUR LA LECTURE. vïj fidération & Pestime des honnêtes gens. Le Magistrat est coupable, s’il ne lit pas. L’étude des Loix doit faire fa principale occupation , & il ne doit pas négliger plusieurs lectures. C’est le moyen de fe former le jugement, &de sentir la noblesse, la dignité, les risques & les devoirs de son emploi. L’homme d’Eglife fe fortifie dans íâ religion par la lecture ; elle le met en état de la maintenir & de l’étendre. Ce ne peut être P expérience , ce font la lecture & les méditations qui font que l’hom- me d’Etat est digne de soutenir le thróne , de procurer le bonheur des peuples, & de rendre les Rois capables de regner avec grandeur & justice. On conviendra íáns peine qu’il y a des lectures utiles, & qu’il y en a même d’indil- penfables pour les états dont je viens de parler ; mais il n’en est pas de même pour Pétât Militaire. Le plus grand nombre pense, que les personnes qui embraíîènt le parti des armes n’ont pas besoin de lecture ; plusieurs Militaires montrent aster par leur inapplication qu’ils en font persuadés. Cependant j’o/e dire que la lecture est particulièrement né- cestaire au Militaire ; que de tous les états, c’est celui où l'on en doit faire le plus grand viij REFLEXIONS & le plus universel usage. Développons cette vérité que vous connoissez si bien , & que tant le personnes semblent méconnoître. L’Art de la guerre est le plus grand ; il est devenu le plus nécessaire. C’est ce grand Art qui fonde les Thrónes & les soutient, qui forme & détruit les Empires, & qui peut changer la face de la terre. Cet Art pratiqué par des hommes vertueux conserve les biens, protège les Arts, les Sciences & le Commerce ; il veille à la conservation de la liberté & de la vie, & fait regner l’abondance & la tranquillité dans les lieux où fans ce même Ait regneroient le trouble , la misere & toutes les horreurs des crimes & de l’inhumanité mais cet Art si grand , si noble & si nécessaire, est le plus difficile. L’homme vraiment militaire doit être Géographe & connoítre les parties de cette science les plus étendues & les plus détaillées; il doit être bon Mathématicien. La science des langues , l’éloquence , l’étude de l’homme, la politique la plus profonde & tous les exercices du corps lui font nécessaires ; il doit posséder sart de ranger les hommes dans une situation assez solide pour attaquer ou pour se défendre, & de conformer cet arrangement aux obstacles que présente le hazard f qui va- SUR LA LECTURE. íx rient jusqu’à l’infini ; il faut qu’il sçache l’art de vaincre à chaque pas les obstacles imprévus que la Nature lui oppose, & de rendre inutiles tous ceux que l’Art, secondé de la Nature & de la force, peut imaginer pour Far- rêter & pour le détruire. Qu’on lise quelques Histoires militaires, & l’on verra que suivant les occasions, les hommes de guerre ont pratiqué avec succès l’une ou Fa titre de ces con- noiflânces, & que c’est à ces connoiíïànces employées à propos, qu’est dû le gain d’une bataille, le succès d’une campagne , la réussite d’une guerre, & quelquefois le salut du Thróne '& de plusieurs milliers d’hommes. Ces connoissances immenses qui font nécessaires à f homme de guerre, & le talent précieux de sçavoir s’en servir à propos , ne lui suffisent pas ; il faut qu’il réunisse les vertus de tous les états, & il en est plusieurs d’une pratique bien noble , mais bien difficile, qui caractérisent le vrai Militaire, & le Héros, Sc fans lesquelles les connoiíïànces les plus étendues lui deviennent inutiles. Un Militaire doit posseder au plus haut degré , la justice , la grandeur d’ame , l’hu- manité, la force, Fintrépidité , l’audace & la prudence; il doit être heureux fans orgueil , Sc malheureux avec dignité ; il ne doit faire sv X REFLEXIONS tjue changer de vertu, quand la fortune change de face ; il doit renoncer aux douceurs de la vie , & s’accoutumer aux travaux les plus durs ; il doit être enfin assez vertueux pour entraîner par la force de l’exemple des milliers d’hommes à la pratique des vertus les plus éminentes, & être toujours prêt à sacrifier pour le service de son Roi & de íà pairie , fa fortune , sa santé & fa vie. Tous ceux qui par la lecture ont acquis quelque connoissancedes affaires du monde, & des grands hommes qui y ont paru , & qui l’ont servi, conviendront fans difficulté que je n’ai rien outré , & que tout est vrai dans îe tableau que je viens de faire des connoif- sances immenses qu’un Militaire doit avoir , & des vertus qu’il doit pratiquer. Examinons a présent Ci les exemples, les préceptes A les exhortations peuvent les lui procurer. Lm Militaire doit être certain , autant qu’il est donné aux hommes del’être, que faction qu’il va faire est bonne ; il ne lui faut jamais d’incertitude ; ses fautes peuvent être terribles; elles peuvent interresser le genre hu- \ main. Quelle expérience peut avoir un Militaire , & quelle connoissance utile peut-elle lui donner ? Si longtems qu’il vieillisss dans les armées, il verra chaque jour quelque chofe SUR LA LECTURE. xj 2 e nouveau ; il sçaura ce qu’il a vû faire jus- qu’à aujourd'hui mais il ne sçaura pas ce qu’il doit faire demain les évenemens de la guerre dépendent de tant de circonstances différentes, & font si prodigieusement variés , qu’il faut la révolution de plusieurs siécles pour ramener à peu près les semblables. Je ne sçais fur quoi est fondé cette considération & cette confiance de préférence qu’on a pour un vieux Militaire qui n’a que l’expérience. 11 fçait, & il raconte ce qu’il a fait; mais ce qu’on va faire est nouveau pour lui, il ne peut proposer que des incertitudes. Ne devroit-on pas plutôt donner cette confiance à un jeune Militaire, qui a la vigueur du corps, & qui à l’amour naissant de la gloire, joint la lecture des Histoires militaires il a vû tout ce qui s’est passé dans tous les siécles ; il a conversé avec tous les Héros ; il connoît leurs grandes actions; il a remarqué leurs fautes. Ces con- noissances ne font-elles pas infiniment au- deflus de celles que donne la simple expérience de 50 ou 60 années ? La vieillesse dans le Militaire ne me semble devoir être considérée que dans le simple soldat ; il ne doit qu’obéir & soutenir les fatigues ; il en acquiert l’habitude en vieillissant. Ces réflexions fur l’expénençe des anciens L vjr xij REFLEXIONS Officiers font nouvelles ; elles font totaîe* nient opposées au préjugé mais je pense qu’ií est utile c!e le détruire, & pour ne rien oublier de ce qui peut y contribuer, je vais joindre quelques exemples à mes réflexions. Lucius Lucullus, qui triompha du Grand Mithridate & du Roi Tigrane son gendre, n’avoit que peu ou point de pratique de la guerre , quand on lui donna le commandement des troupes pour aller à cette expédition. 11 apprit cependant la maniéré de la taire, en lisant feulement les Histoires dans ion voyage en Asie. Voyez Monarch. Eccl. de Pineda. Tamerlan , Roi des Parthes, devant combattre contre Bajazet Empereur des Otto-, mans, fe fit lire les actions de ses prédécesseurs , afin que ce souvenir le soutînt dans le combat, où Bajazet fut fait prisonnier. Lorsque l’Empereur Sévere tenoit conseil fur quelques expéditions militaires, il y ap- pelloit les jterfonnes qui avoient une grande eonnoiflance de l’histoire , cherchant celles qui fqavoient ce qu’en pareil cas les anciens Généraux avoient fait. Au siège de Berg-op-zoom un Officier du Régiment que vous commandiez, saifoit avec distinction le service d’Ingénieur» Plusieurs SUR tA LECTURE. xïi} anciens Officiers le consultoient, & M. le Maréchal de Lowendhal l’appelloit à ses conseils de guerre cependant e'étoit le premier liège où cet Officier sc trouvoit ; il n’avoit aucune expérience. L’expérience ne pouvant donc rien apprendre à un Militaire, ou du moins fort peu de chose ; examinons les connoissances que. les préceptes & les leçons peuvent lui donner. J’ai fait voir les connoissances qu’un Militaire doit avoir ; elles font si immenses que la vie la plus longue ne scffit pas pour les acquérir par la voye ordinaire des préceptes» Supposons cependant que par leur moyen il puiíîe devenir Mathématicien, Géographe > Orateur, apprendre les langues, & tous les exercices d u corps, il lui restera à acquérir les connoissances les plus essentielles, dont aucun précepte ne peut rinôruire, la con- îìoissance de l’homme, la politique, & la tactique , cette science que personne 'enseigne, & j'ose dire ne peut enseigner. Si donc par cette supposition, que je regarde comme trop sorte, il acquiert tomes les connoissances que les préceptes & les leçons peuvent enseigner, le rendront-elles grand homme de guerre î Non il fera avec toutes ees *îv REFLEXIONS íciences beaucoup de fautes, & peut-être pîuí que d’autres, parcs qu’il aura plus de confiance toutes ces connoiífimces, toutes ces sciences ne font rien à la guerre, s’il n’ac- quiert pas celle de fçavoir les pratiquer à propos. Cette science fait valoir toutes les autres. Eh i qui peut lui donner cette science ? C’est la lecture ; il ne peut y avoir d’autre maître. Si quelqu’un doute encore de cette vérité, qui vous est si connue, & si cé que je dis pour en convaincre ne suffit pas, qu’on lise dans Plutarque les vies des hommes illustres, & l’on verra qu’ils étoient instruits dans l’hise toire qu’on médite les vies de ces hommes fi fort élevés au-destiis des autres hommes , tels qu’Alexandre, Annibal, Scipion, César, Maurice de Saxe, on verra que les plus grands Capitaines doivent leurs élévations à la lecture. Nous venons de voir que Inexpérience & les préceptes ordinaires des sciences ne suffisent pas pour former & instruire l’homme de guerre ; examinons si les exhortations aux vernis militaires peuvent être assez puissantes pour le déterminer à les pratiquer, & les lui faire pratiquer à propos. Dans chaque état on peut fçavoir les ver- SUR LA LECTURE. xv tus qu’on a à pratiquer, n’y ayant que certaines vertus qui y font eílèntielles. II est possible de fixer un plan d’exhortation pour celles qui y font propres; mais dans l’état militaire, il n’en est pas de même. Toutes les vertus lui étant nécessaires, ce plan d’exhortation devient immense 8c bien difficile. L’immensité du plan d’exhortation aux vertus militaires le rend difficile; mais la pratique de ces vertus est st dépendante des occasions & des évenemens, & par conséquent fi varié que je le crois impossible. En effet » la douceur & la fermeté , la modération & la sévérité, la libéralité & la prévoyance, la force, l’intrépidité & la prudence, & presque toutes les vertus ceíîènt de porter ce beau nom, & peuvent mcme devenir des vices à la guerre , fi on les pratique mal-à-propos. Qui peut donc donner des exhortations aller fortes, allez lumineuses, pour montrer ces vertus dans les ténèbres du hazard & de l’a- venir f II ne faut point s’attendre à les recevoir des hommes avec qui nous vivons ; elles ne peuvent être données que par les hommes de tous les siécles réunis, c’est-à-dire parla lecture de l’Histoire. Non-feulement l’immensité du plan d’exhortation aux vertus militaires le rend ira- kvj REFLEXIONS possible ; mais les vertus propres à l’état mî-* liíaxres font d’une pratique si difficile , qus l’exhortation. ne peut suffire pour y porter les hommes. Quelle exhortation est astêz forte pour arracher du sein de l'opulence & des voluptés qui raccompagnent, un homme qui en sent toutes les douceurs , pour le faire vivre au milieu des inquiétudes, des fatigues & des. travaux ; pour le déterminer à quitter fa patrie , à souffrir les intempéries des faisons & des climats, & les douleurs de la faim & de la soif ? Quelle exhortation peut i’assermir dans cette constante vertu qui le retient dans cette vie dure & terrible, pour assurer le repos & la tranquillité des autres hommes ? Quelle exhortation enfin aster puissante peut le déterminer à souffrir Volontairement la mort pour assurer la vie & le bonheur des hommes dont il a entrepris la défense ? La vue de ces hommes grands & généreux , du bien qu’ils ont fait, de la gloire immortelle qu’ ils se sont acquise , est la feule exhortation qui puisse nous faire aimer & pratiquer leurs vertus ; & c’est la lecture qui nous montre les grands hommes & leur gloire, & les grands évenemens de tous les siécles. Ce feroit un travail très-indifferent que d’a- SUR LA LECTURE. xvi 'jroìf seulement prouvé que la lecture est nécessaire dans tous les états ; d’autres l’ont fait avant moi ; tout le monde en est persuadé z mais avoir prouvé qu’eiie est particulièrement & indiípensablement nécessaire à l’état militaire ; qu’un Militaire doit être plus fçavant, plus instruit, plus vertueux que tous les autres hommes, c’est , je crois, un travail intéressant , puilque personne ne l’a encore fait ; & utile , puisque preíque tout le monde pense qu’un Militaire peut être inappliqué, ignorant , & vicieux , & bien remplir les devoirs de son état. Ce préjugé n'est que trop fort ; ne voit-ón pas souvent des peres faire entrer dans le plan d’éducation de leurs ensans destinés au fer- . vice, beaucoup de vices, peu de vertus, & une parfaite ignorance ? N’y a-t-il pas un grand nombre de Militaires ígnorans & vicieux par éducation & par principes, & qui restent toujours tels, parce qu’ils se persuadent qu’à cause de leur état il leur convient de F être ? LETTRES. xvíij LETTRES De M. le Comte de Perigord & de AÍ. de Aíopinot, sur la nécessité d’a - nimer l'amour de la gloire & d’exciter Vémulation dam les troupes Françoises. On propose dam ces lettres des moyens faciles d’y réussir, & le Plan de l'histoire du Régiment de Normandie, Au Château de C halais .... ; J L y a Iongtems que je n’ai entendu parler de vous, Monsieur, comment vont vos ouvrages ? Seront-ils bientôt imprimés ? Avez- vous fini avec M. le Marquis de Brezé ? Comment va la curiosité ? J'ai eu de quoi satisfaire la mienne dans le voyage que je viens de faire à Bagnieres & à Bareges. Perigueux est surtout rempli de restes de la magnificence des Romains ; mais ces restes commencent à être trop délabrés. Viendrez-vous cet hyver à Paris? Si vous n’y venez pas, longez que je compte aller au Régiment ce prin- tems passer un mois , & que vous m’avez promis de ne point demander de congé pour cs LETTRES. xïx mois car il est bien agréable de s’entretenir de son métier avec quelqu’un qui a banni les préjugés de í’ufage & de la routine , pourn’é- coûter que ce que la raison démontre en ap-i profondistânt les choses. Vous trouverez le Régiment marchant à la Prussienne & quelques autres usages de cette nation. L’igno- rance a beaucoup murmuré, comme vous croyez bien mais cela ne m’a fait d’autre impression que de me confirmer dans ]a persévérance , en faisant exécuter ponctuellement ce que j’avois ordonné. Je compte toujours que vous veillerez à la traduction ces régle- mens Prussiens car il doit y avoir des choies bien excellentes, à en juger par les particularités qui sont venues juíqu’à nous. Adieu , Monsieur, je ne vous réitéré point ici les assurances de mes sentimens, parce qu’ils vous sont connus , & qu’ils seront toujours les mêmes. Talieyrand, Comte dePerigord, LETTRES à A Reims , le .... * MONSIEUR, J’Aime mon métier, & l’estime particulière que vous- voulez bien accorder mon goût, est pour moi un motif de le bien faire, presqu’auíïì puissant que la noble émulation de se distinguer dans une carrière qui n’a que la gloire pour but. Je viens d’envoyef à M. le Marquis de Brezé les reglemens nouveaux concernant le service des troupes en marche , & je travaille à plusieurs autres conformément au plan qu’il m’a laissé pendant son séjour chez moi. Comme ce travail est difficile & fatiguant, je me délasse quelquefois avec Brantôme il dit de bonnes choses fur le militaire il parle quelquefois du Régiment de Normandie, & toujours avantageusement. Cette lecture m’a fait naître une idée. Voulcz-vous bien que je vous la communique ? Brantôme, l’Ingénieur de campagne, & plusieurs autres auteurs, rapportent par occasion les actions des Régiment; ils nomment même les Officiers qui fe font distingués, qui LETTRES. xx f nt été tués , qui ont rendu des íèrvices particuliers ; us pourroit-on pas tirer de ces auteurs des matériaux pour construire Fhif- toire particulière de chaque Régiment ? Dans le petit nombre de Campagnes qus j'ai eu Fa vanta gî de faire avec le Régiment de Normandie , j’ai remarqué plusieurs actions dignes d’étre transmises à la postérité. Les principales font Les íèrvices de M. le Marquis de Talíey— ra n d fous le Maréchal de Saxe, & fa mort glorieuse au siège de Tournay ; la promotion de M. de Salancy au grade de Brigadier fur le ehamp de bataille à Fontenoy. La vôtre au grade de Colonel, a été accompagnée de circonstances bien belles; Faffàire de Meslefournit aussi des faits honorables pour le Régiment & pour quelques-uns de íes Officiers particuliers ; le siège de Bruxelles que le Régiment a fait, est digne aussi de quelques remarques. Le siège de Berg-op-Zoom est, je crois , F époque la plus glorieuse pour le Régiment ; tout le corps y a fait continuellement des prodiges. La nuit de l’attaque du chemin couvert a été signalée par Faction la plus honorable à la nation, & je ne íçais si les Romains peu- veut en citer une plus belle l’honneur, la bravoure, Famour de h patrie, l’hustanjté sxij LETTRES, y ont paru dans toute kur pureté. Vous sentez sans doute, que ces éloges tombent fur ces jeunes officiers, qui, voyant les ennemis pour la premiere fois, & pour la premiere fois pa- roissant terribles à des troupes aguerries & accoutumées à vaincre, coururent en qualité de Volontaires aux travaux glorieux de cette nuit affreuse. Ils s’y employerent en vrais officiers , & ils aidèrent de leur mieux à vaincre; faction tirant à se fin, & étant auffi décidée que celles de cette espèce peuvent l’être, ils se choisirent au milieu du feu, des périls & de ïa mort, une occupation qui réunit tous les scn- timens qui honorent l'homme. Tous les soldats préposés pour transporter les blessés fur des brancards, étant tués ou blessés , les blessés restoient exposés au feu des deux partis ; ils périssaient ou faute de secours, ou par de nouveaux coups. Ces jeunes officiers bravant mille périls’, vont retirer leurs camarades du sein de la mort ; quelques-uns d'eux dans cet office généreux, font atteints des coups de rennemi, & leur mort glorieuse semble donner un nouveau zélé au reste de cette jeune Troupe. Tous les blessés font par elle enlevés, elle rassemble des brancards, elle en imagine, elle en fabrique fur le champ , elle se charge de ces nobles fardeaux , & conservant à ía i L E T T R E St xxiij nation ses anciens officiers, elle lui fait con- noître qií’elle en nourrit de capables de suivre leurs traces, & de les remplacer. Passez-moi mon enthousiasme ; faction est si belle qu’il est difficile de ne pas s’échauffer en récrivant. La gloire que le Régiment s’est acquise au jour de l’assaut, n’est pas d'un prix si précieux, mais elle est plus éclatante» Toute l’Europe sçait que le Régiment de Normandie ayant à íà tête son Colonel, monta le premier à Passant ; mais elle ignore le détail des belles actions que plusieurs officiers firent dans cette occasion & pendant tout le siège. Moi, qui, comme vous sçavez, faisoit à ce siège le service d’officier dans votre Régiment, celui d’ofi- ficier major & d’ingénieur, moi qui avois presque fixé mon domicile dans la tranchée , j'en puis citer plusieurs. Pourquoi ne parieroit-on pas austi de tous nos soldats élevés par leur valeur au grade d’officiers t Je vois enfin d’un coup d’œil bon nombre de faits capables de composer l’histoire du Régiment de Normandie , & dignes d'être écrits. Pour Tordre de ce travail, voilà à peu près le plan qu’il faudroit suivre. .i° ? La création du Régiment? xxîv LETTRES. 2°. La fuite de ses Colonels depuis ía création 3 avec la vie ou TWoire militaire de chacun d’eux. 3°. Suivre le Régiment dans toutes les Cam>- pagnes, détailler toutes les actions oit il s’est trouvé, les services qu’ii y a rendus en corps, & les faits distingués de chaque officier particulier, II scroit indifpenfablement nécessaire pour faciliter ce travail, d’avoir l’agrément du Ministre. de la guerre , & la communication des régistres qui font dans íes bureaux. On y trouveroit la fuite des Colonels, leurs services, leur élévation aux différens grades, leurs récompenses, & presque de quoi composer leur histoire militaire. On y trouveroit la marche du Régiment depuis fa création , & par conséquent les actions où il se seroit trouvé, les états des gratifications , pensions & autres grâces & distinctions accordées aux officiers, & le sujet qui y auroit donné lieu. Que je fois placé à Versailles, & libre de fouiller dans les régistres & armoires des bureaux de la guerre , ce travail pour le régiment fera bientôt fait. La croix de Tordre militaire de S. Louis, pe donne de bien réel que la gloire de la porter?. » LETTRES. xxf ter cette gloire n’est que personnelle, & meurt avec celui qui en jouit cependant que de belles actions n’occalìonne-t-elle pas! Combien ne retient-elle pas d’officiers au service ; c’est l’objet principal de l’ambition de .presque tous les militaires. L’homme ne se contente pas de jouir de la gloire tant qu’il vit ; il porte ce sentiment élevé plus loin , il aspire à en jouir après íà mort, & c’est une forte preuve de l'immortalité de son essence. II est bien agréable de vivre glorieusement mais c’est le comble de la satisfaction de pouvoir transmettre sa gloire à la postérité , & d'être assuré de s’immortaliser dans la mémoire des siécles à venir. C’est cette gloire immortelle que l’exécu- íion du travail que je propose , assure aux officiers qui se distingueront ; & c’est cette même gloire qui a fait tous les grand» hommes que nous connoissons encore chez les Romains, les Grecs & les autres Nations. Les François qui font aussi avides de la vraie gloire que l’étoient ces peuples, sûrs de même qu’eux des moyens d’en jouir, nesepor- teront-ils pas aussi aux actions qui peuvent Ja procurer ? Ces réflexions seules prouvent fortement !i b KXV] I, E T T R E S. bonté Je l’ouvrage Jont il est ici question , & démontre assez qu’il ne peut porter que beaucoup d’émulation dans le cœur des officier s François qui l’pnt naturellement élevé. Je puis dire d’ailleurs que cet ouvrage deviendra un des beaux monumens du siécle de Louis XV ; il honorera par son exécution tous les sujets qui auront bien servi FEtat ; il transmettra au Royaume des registres dans lesquels il verra les vraies sources où il faút trouver ses défenseurs & ses soutiens ; il donnera à la postérité une preuve à jamais subsistante de l’élévation des sentimens d’un Roi, qui, en comblant du bien le plus précieux ceux qui Font bien servi, trouve en même tems les moyens d’assermir les fondemens du Royaume, en y perpétuant la gloire de bien faire. Toutes les Nations s’élevent, se soutiennent & s’aggrandissentpar les armes, & leur histoire est un composé de faits militaires mêlés de quelque politique. Preíqu’aucun Militaire n’a été Historien, & presque tous le? Historiens ont écrit du fond d’un cabinet, d’oii ils ne font jamais sortis } des histoires composées de différens détails d’armement, de mouvemens d’armée , d’attaques & de défenses de places, d’actions, de combats & au- ptcpfiïhè militaires^ ' LETTRES, xxvîj Toutes ces choses se décrivent mal par des gens qui ne connoissent pas & qui n’ont pas pratiqué l’art de la guerre si grand & si difficile ; aussi la plíipart des Historiens font très- imparfaits ; ils négligent les faits , les descriptions les plus intéressantes & qui honorent ls plus la Nation pour laquelle ils écrivent ; ils ignorent même jufqu’aux termes dont ils doivent se servir; ils les emploient toujours au hazard qui les sert souvent bien mal, Voltaire même, l’historien & l’homme célébré de nos jours, n’est pas exempt de ces fautes il se íert quelquefois de termes déplacés & laiíîe trop à désirer dans ses détails militaires , qui font cependant la base de l’ouvrage historique. Les histoires de chaque régiment n’étant composées que par des Militaires , seront exemptes de ces défauts ; ayant le sceau de l’approbation des Généraux & des principaux Officiers témoins des faits , elles seront toujours vraies , & passant dans le cabinet d’un Voltaire, elles deviendront l’histoire fidelle de la Nation, & un monument à jamais utile & précieux. Le projet que vous avez m’a enchanté par les conséquences dont il doit être ; car l’ému- laticn, chose si peu connue & si nécessaire e bij xxvHj LETTRES. France en íèroit une suite non-sêulement dans le régiment , mais même dans toutes les au- tres troupes. Si lorsque vous aurez, fini vos autres travaux /vous voulez entreprendre un ouvrage aussi louable, je me fais fort de vous obtenir la permission de fouiller dans tout le Bureau de la guerre. Je n’ai jamais lû ì’hiíV toire du régiment d’Eu, qui a été le régiment deTuvenne, faite par un Officier de ce corps ; il n’y auroit point de mal que vous la lussiez avant que d’entreprendre celle du régiment, afin de voir si la conduite de cet ouvrage est bonne, & en tirer celle qui vous paroitroit convenable. Je vous remets encore à Besançon pour vous parler de tout cela ; une lettrs ne peut contenir tout ce qu’il y auroit à dire, & l’on s’explique toujours plus clairement lorfqu’on se parle. Je vais faire chercher cette histoire du régiment d’Eu , afin de vous la faire lire lors de votre arrivée ici, au cas que vous n’ayez pas pú la trouver. Je vous fournirai le fameux siège de Grave, où le régiment de Normandie s’est tant distingué ; çe livre est si rare que j’ai été trois ans à le trouver , quoique je l’aye fait chercher .en Hollande. J’ai encore un autre livre fort rare, où est décrite l’astaire de Chiary, & par conséquent ouest f éloge du régiment enfin, ja L Ë T î R E S. Xxîs chercherai de mon côté tout ce qui pourra être utile à ce projet, & je ne sçaurois trop vous louer de votre amour pour l’étude Sc pour votre métier ; c’est le seul moyen de passer agréablement cet instant qu'on appelle la vie ; car l’étude fortifie la jeunesse & fait les charmes de l’áge avancé , dit Voltaire , si je ne me trompe. Ma santé, quoique meilleure, n’est pas encore bien bonne. Je me fuis déterminé à aller cette année au régiment voir les progrès qu’il aura fait dans les instructions du major Bienastìfe. Le régiment d’infanterie de Nassau est aussi à Besançon nous verrons là un échantillon des divins Prussiens. Adieu , Monsieur, au plaisir de vous voir ; je me flatte que vous n’ignorez point la sincérité de ma façon de penser pour vous, &c. Talliyrand , Comte de Perigord. MEMOIRE SUR LÏNFANTERIE» o u Proposition d’Académie militaire dans les principales garnisons du Royaume , pour servir de suite àsétablisiement de l’Ecole Royale Militaire. Par M. DE Mopinot , ancien Capitaine d’Infanterie, Capitaine au premier Regtment de Cavalerie de Monseigneur le Dauphin , & Ingénieur k la fuite des armées . AVIS. "T'A 1 vu ce Mémoire entre les mains I de plusieurs Officiers généraux , qui rn’ont tous paru en faire grand cas un d'eux a bien voulu ni en donner une copie que f ai multipliée autant de fois que jen ai trouvé l'occafon , & toutes les personnes à qui f en ai procuré la leElure en ont fait éloge en effet , cet ouvrage efl traité avec tout le génie dlun Militaire expérimenté ; les réflexions fur chaque partie de la guerre font également savantes , judicieuses & inflruElives ; & le bien qui doit suivre de iexécution des Académies proposées, ejl appuyé fur des raifonnemens & des exemples f solides , qiton ne peut douter de leur utilité , Cet excellent ouvrage efl fans doute parvenu au Minìflre de la guerre mais la quantité immense qu il en reçoit fous ce titre depuis quelques annces , lui en rend Eexamen impossible ; celui-ci efl cependant trop intéressant pour eire négligé ; & le seul ìnoyen de le tirer de cette multitude , qui lésait oublier , efì de l’imprimer C efl cette voje qu'on devroit pren- xxxh dre pour tous les bons ouvrages qui ont pour objet des propositions utiles à l'Etat; ils font par ce moyen mis au grand jour , tout le monde peut les examiner , & la, Critique peut les perfeEHonner. Je donne au travail de l’Auteur des louanges , parce qui il en mérite mais je m puis m'empecher de blâmer son efpece de Philosophie , qui Vempêche de publier des ouvrages utiles à F Etat il ejl beau . fans doute, de mériter des louanges Ó" d’éviter de les entendre mais il e/l encore , & plus beau & plus grand, de rapporter tontes ses aciions au bien public ; ce motif ejl trop- généreux pour ne les pas justifier ; qtétl me serve ici , puisque c'ejl lui qui ma porté à faire imprimer ce Mémoire & a nommer son Auteur. J'ai placé les Réflexions fur l’état militaire â la fuite de ce Mémoire , parce qu elles ont le meme objet, qui ejl de contribuer au succès de Vétablissement de F Ecole Royale Militaire ; j'aurois souhaité connoitre F Auteur pour le nommer ? garce que tout ce qu'il dit caractérise im Sujet , & un Officier d un mérite k devoir être connu &' distingué. xxxtf MEMOIRE Sur Vinfanterie , ou proportion d’Académie Militaire dans les principales garnisons du Royaume ,pour servir de suite à rétablissement de U Ecole Royale & Militaire. L 'Affection du Roi pour ses Sujets quï cnt eu part à la gloire de ses armes, les témoignages particuliers qu’il veut bien leur donner de fa satisfaction , en accordant la noblesse à ceux que leurs services & leurs grades ont rendus dignes d’un honneur que la Nature leur avoir refusé, ouvrent une carrière brillante où toute la Jeunesse Françoise va s’empresser de courir. Elle est naturellement portée à l'arnour de son Roi ; la gloire attachée à le servir, est le seul objet qui la guide ; sûre d’obtenir, cette gloire , ensuivant son inclination , que ne doit-on pas en attendre ? La Noblesse Françoise conduite par les seuls principes de Fhoaneur, a toujours çon- b vj XXXV MEMOIRE, íribué par ses glorieux services à soutenir A perpétuer la splendeur du Royaume. De cette précieuse-portion du peuple François, pinceurs, après avoir consommé leurs biens à la défense & à Taggrandiflement de la Nation-, se trouvoient réduits à laisser leurs enfans fans éducation. Ils avoient la douleur de prévoir l’avilissement de leurs noms , dans une postérité hors d’état d’en soutenir le lustre. L’établissement de l’Ecole Royale Militaire reconnoít les enfans de ces Nobles guerriers; cette Ecole les rassemble , elle prend foin de leur éducation, elle les instruit des sciences militaires, elle les place dans les armées, & ne les perd plus de vue. Quelle gloire pour ce régné ! Que de Héros pour le soutien & l’honneur du Royaume ! La distinction que le premier de ces éta- blissemens attache à Tétât militaire , pour les sciences qui en dépendent, que le fécond rend nécessaire à tous ceux qui embrassent le parti des armes, ne peuvent manquer de remplir les armées d’Ofticiers en'état d’en soutenir & d’en augmenter la gloire. Les fruits précieux qui doivent nécessairement éclore de ces établissemens si beaux & si dignes de notre Régné , ne sçauroíent être conservés avec trop d’attention ; ils peuvent MÉMOIRE; xxxvï} dégénérer rétablissement d’une Académie Militaire dans les principales garnisons du Royaume , est un moyen sûr de les conserver.' L’exercice continuel est nécessaire aux troupes ; l’oisiveté, merê de tous les vices; n’épargne ni l’officier , ni le soldat. Les Histoires nous fournissent quantité d’exemples de ses funestes effets. Tant que les Romains ont exercé leurs armées en paix., comme en guerre, ils ont été les maîtres du Monde, ils ont porté leur nom & leurs conquêtes par tout l’Univers, & l’ont embelli mais si-tôtqu’ils fe font laissés entamer par la molessë, ils ont vû en peu Tannées écrouler leur nom, leur fortune, leurs conquêtes, & leur République , & toutes ces belles possessions passer avec leur gloire 8C leur bonheur dans des mains étrangères. Que font nos troupes dans les garnisons ? Elles montent une garde de loin en loin, elles s’exercent quelquefois au maniement des armes & aux évolutions ; le relie du tems est perdu dans une molle indolence, qui ne peut qu’énerver la force & la valeur. L’oisiveté, la vie douce & voluptueuse ont leurs appas à stage de dix - huit ans il est difficile de s’en défendre ; on peut y être sensible , & se laisser entraîner à leurs douceurs, L xxxviij MEMOIRE, jeune Noblesse sortant des Ecoles Militaires pour entrer dans des Régimens, où elle ne trouve prefqu’aucune occupation fixe, ne ris- que-t-elle pas de perdre en peu de teins les fruits de l'éducation militaire qu’elle y aura reçus ? Quelques réflexions fur les Ecoles de Cadets gentilshommes confirmeront ces craintes. Le soldat, qui passe tout le teins que dure la paix dans une perpétuelle oisiveté, & par une fuite naturelle dans les débauches, ne peut plus soutenir les travaux militaires, quand la guerre l'oblige de reparoître en campagne, N’a-t-on pas víi, après une paix de quelques années, une armée des plus brillantes périr de maladie dans les premieres campagnes ì Ce Projet Rétablissement d’une Académie Militaire dans les principales garnisons du Royaume, est formé fur la nouvelle création de l’Ecole Royale Militaire, & il en est une fuite ; il assure le fruit de l’éducation que la Noblesse y doit recevoir ; il tient Fofficier & le soldat occupés de leur profession ; il les entretient, les exerce & les endurcit aux travaux guerriers ; il les rend enfin plus redoutables dans la guerre , en les employant utilement pour le bien du Royaume pendantls paix. MEMOIRE. xxxîs Si ce Projet paroît devoir être utile , la dépense qu’en occasionnerait l’exécution, ne doit point arrêter. Je donnerai par un Mémoire particulier les moyens de tirer des fonds, pour l’entretien non-seulement de ces Académies projettées, mais aussi pour celui de l’Ecole Royale Militaire le peuple ls payera volontiers, & fans se plaindre que ses charges en soient augmentées. Çréation & formation des Officiers J Sergens & Soldats deftìnés aux tra~ vaux des Académies Militaires. II faudrait choisir dans chaque Régiment» particulièrement, dans le nombre des Capitaines , Lieutenans & Lieutenans en second réformés, deux Capitaines, un Lieutenan? & un Lieutenant en second , & les créer Officiers des travailleurs du Régiment. Dans les Régimens, ou dans le nombre des Officiers réformés , il ne s’en trouve point actuellement en état de remplir ces places t il en ferait choisi & envoyé aux Ecoles Royales de Mathématiques à la Fere , Besançon , Mets, Strasbourg & Grenoble , qui aprçs y avoir fait un cours de Théorie & de Pratique » & y avoir été examinés > feraient en état dsr St M t M 0 í R Ê; femplir dignement ces places de forte qu’efl une année ou dix-hun mois, elles seroient occupées par des sujets capables. Ces places d’Ofstciers des travailleurs íê- roient par la fuite remplies par les jeunes Gentilshommes qui fortiroient de l’Ecole Royale Militaire. II faudroit choisir trois Sergens par bataillon les plus intelligens, & de préférence ceux qui ont suivi les Ingénieurs dans les travaux des'siéges, & les créer Sergens des travailleurs du Régiment. On pourroit dans rétablissement former quelques Sergens dans les Ecoles d’ártillerie. Le Capitaine des travailleurs, du consentement des Commandasls des corps , choiíî- roit quatre soldats par compagnie factionnaire , qui fussent robustes & en état de bien travailler , & qui fçussent quelques métiers propres à la guerre pour íervir dans les exercices militaires que je vais proposer, & en même te ms pour être instruits de toutes les manœuvres de cette profeffion , où il faut joindre Fadresse à la force. Ces soldats íe- roient créés soldats travailleurs, & ouvriers des Régimens. Chaque Capitaine auroit attention dans ses recrues d’enróler de préférence gens sçachant quelques métiers utiles MEMOIRE. sulj à la guerre , comme charrons, charpentiers» ínenuisiers, bateliers, forgerons, maçons , scieurs de long. Cette attention ne rendroit pas les recrues plus co u tentes, puiíqu’actuel- lement il fe trouve des soldats de ces proses-. lions dans toutes- les Compagnies , & que la haute paye qu’ils auroient, en engageroit beaucoup à s’enrôler. II ne faudroit en tems de paix qu’une lé- gere augmentation de paye, &aucune exemption fixe de service. Les Commandans des places & ceux des Régimens régleroient, suivant les circonstances & les travaux , l’e- xemptîon de service qu’il conviendroit d’ac- corder. Mais en tems de guerre, les troupes de cette création étant presque toujours occupées , comme je le ferai voir, à des travaux utiles, pénibles, & périlleux, il conviendroit d’exempter les Sergens attachés aux Officiers des travailleurs d’une partie du service, & de leur donner une paye plus forte ; cette distinction donneroit à tous les Sergens une émulation fructueuse pour le service, ils fe- roient beaucoup plus d’attention à tous les travaux , & à toutes les manœuvres. Chacun d’eux tâcheron de les bien apprendre pour pouvoir, à la première occasion , obtenir *ûj M E M O I R E. une place plus distinguée & plus lucrative II feroit aulfi à propos en tems de guerre 'd’exempter les quatre soldats travailleurs d’une partie du service, & de leur donner une paye plus Forte pour les raisons que je viens de dire; outre cela, il faudroit que dans les quatre soldats par compagnie, il y eut deux payes différentes, & qu’on put mettre le soldat qui a la haute paye à la petite , & celui qui a petite à la haute, afin que ces punitions & ces récompenses continíîènt ks uns, Sc donnassent de Témulation aux autres. II feroit encore nécessaire d’ajouter aux uniformes des Officiers, Sergens & soldats de cette création, une marque distinctive & uniforme dans tous les Régimens. II resteroit à changer quelque chose dans l’artnement & éqffipement des soldats de cette crcat'on, en forte qu’ils en fussent moins embarrassés , & qu’ils porter les outils convenables à leurs occupations. MEMOIRE. JvLÌlj Exercices que les Officiers des travailleurs fer oient faire aux soldats travailleurs & ouvriers. Dans toutes les places de guerre , on trou- ve du terrein inutile > où l’on peut manœuvrer. II y a dans les arsenaux du canon, des mortiers, Sc toutes les choses nécessaires pour le service, & pour lesdifférens exercices militaires. Exercice de Pyrotechnie. Les Officiers des travailleurs des Régi- mens choisiroient dans le nombre de leurs Soldats deux ou trois hommes par bataillon , en qui ils réconnoîtroient de la disposition , à qui ils apprendroient la pratique de toutes les parties de la Pyrotechnie utiles à la guerre. Ils les instruiroient de l’uíàge qu’on peut faire du souffre, du camphre, du borax , de la poudre , de l’huile de pétréol » & de toutes les huiles ou graisses attachantes , pénétrantes, & corrosives , & d’autres matières aisées à s’enflammer. Us leur apprendroient la composition des machines qu’on a imaginées jusqu’ici, tant pour arranger ou enfermer les différens feux d’artifices, íiiivant l’uíâge auquel on les destine, que pour les j ester. Jíiîv M E M O I R Ë. 'Exercice Mécanique. ÍIs exerceroient leurs soldats travailleurs & ouvriers à remuer des fardeaux, & à bien íê servir des leviers, à mettre une piece de Canon fur son affût, à la relever, à la faire parvenir au haut d’une montagne escarpée, & enfin à la pratique de toutes les parties , & de tous les instrumens de Mécanique utiles à la guerre. Exercice du canon & du mortierU Ils leur apprendroìent la forme & la con£ truction des plattes-formes, & des différentes batteries dè canon & de bombes ; les précautions à prendre pour les construire lorí-i qu’on est exposé au feu de l’ennemi, & tous les moyens de leur donner la solidité , la sûreté, & tout le bon ester possible. Us leur apprendroient l’usage de tous les ustenciles servants au canon & au mortier , ainsi que toutes les façons de les charger , de les pointer , & de les tirer. Enfin , il y auroit dans les garnisons un exercice du canon & du mortier, qui se régleroitsur celui des Ecoles d’artillerie, MEMOIRE, Exercice de la sappe, xvf IIs leur apprendroient l’usege des outils servants au travail des sappes , la façon ds placer le mantelet ou gabion farci, suivant les endroits d’où vient le feu , comment il faut poser les gabions, les emplir, & íè ga» rantir du danger de l’entre-deux. Us les inír truiroient enfin de la conduite que doivent tenir les bons fappeurs , tant pour se couvrir du feu de l’ennemi, que pour bien conduire une tête de íàppe & la perfectionner. Exercice de la mine. Us leur apprendroient l’usage de tous les outils servants aux Mineurs , le travail & les dimensions des galeries des mines,& de leurs chambres ; comment on doit placer la poudre dans les chambres ; comment on doit placer & conduire le saucisson ; comment H faut fermer & boucher les chambres & galeries des mines, & les précautions qu’on peut prendre dans toutes les circonstances pour jassiirer leur réussie. Ils leur apprendroient aussi les moyens de .découvrir si le Mineur ennemi travaille dese Ki?, dessous, ou à côté ; çeux de le prévepix fctvj MEMOIRE. Sc de le tuer , ou de lui faire abandonner soit travail, & enfin toutes les ruses & les chicanes de cette guerre souterraine. Exercice d’attaque & de défense par retranchement , & de id manoeuvre & consintEHon des ponts. Suivant la nature du pays où íeroìt la garnison , ils ìeur feroient construire & jetter des ponts, Sc de tems en tems exécuter quelques- uns des rctranehemens ou épaulemens qu’on pratique , soit pour l’attaque ou la défense des places , soit pour le passage ou la défense des postes, ponts, montagnes, défilés, villages ou maisons. Les soldats ouvriers feroient en même tems exercés & occupés à la construction, & à l’ufage de toutes les choses nécessaires pour ces travaux militaires. Les Commandans des places , conjointement avec ceux des Régimens, régleroient conformément au service de la place Tordre de ces exercices & travaux militaires ; ils or- donneroient les détachemens ou piquets de soldats que les Régimens devroient fournir dans quelques-uns de ces travaux ils com- manderoient le nombre d’Officiers de la ga'r- rdfon qu’ils jugeroient à propos pour être pré- fctis à çes exercices & travaux militaires, M E M O I R E. OCCUPATIONS Des Officiers des travailleurs , & des Soldats travailleurs & ouvriers , & leur utilité dans toutes les circonstances de la guerre ou de La paix , Leur utilité dans l’attaque des Places. ConflruRìon des ponts pour la communication des quartiers . I les quartiers d’une armée, qui forme le O siège d’une place, font séparés par des rivières, il faut faire des ponts pour communiquer. II faut que ces ponts soient construits promptement , solidement, & qu’il y en ait trois ou quatre à chaque passage. Les ponts de batteaux se construisent promptement ; mais ils font très-siijets à être emportés par le courant des eaux ; & cet accident peut causer la perte d’une partie de l’armée, K obliger à lever íe siège. Les exemples n’en ^avììj MEMOIRE, íònt pas rares, & nous en avons un bien mémorable dans le siège de Valenciennes en ÏÍ56 j que les Maréchaux de Turenne & de la Ferté-Sennectere furent obligés de lever, & où ce dernier demeura prisonnier par un évenement de cette nature , avec une perte de plusieurs milliers d’hommes. Les ponts fur des chevalets font plus sûrs & plus fermes mais pour les construire promptement & solidement, il saut beaucoup d’ouvriers & de personnes pour les observer, & les diriger. La quantité d’Officiers des travailleurs & d’ répandus dans les armées par c? projet, procure donc la construction prompte & solide des ponts de communication. Ligna de circonvallation & de contrevallation. II est très-fouvent nécestâire que les lignes de circonvallation & de contrevallation soient faites promptement, & toujours essentiel d’observer le talus des fossés, & leur profondeur ; de recouper le talus intérieur, & de le fasciner, afin de soutenir les terres de derrière fur un talus moindre que celui de devant , & que le soldat puisse joindre le para.» pet pfii faire feu par-deílùs, Le MEMOIRE. xlÎx Le soin de ces ouvrages par rapport aux mesures & façons qu’Il faut leur donner, est l’af- faire des Officiers généraux , chacun à son quartier, & celle des Ingénieurs ; ces ouvrages fe font par les paysans, les soldats, & ler cavaliers. Les lignes font toujours d’une très- grande étendue , la circonvallation des petites places a au moins cinq lieues de circuit. II est prefqu’impoffible que les Officiers généraux, & les Ingénieurs qui fe trouvent ordinairement dans les armées, puissent suffire pour bien faire exécuter, & prompte-, rnent, des travaux auíG considérables ; mais la quantité d’Officiers de travailleurs , de íèr- gens , & de travailleurs expérimentés que ce projet introduit dans les troupes , étant distribuée dans l'étendue des lignes, en procure la construction solide, & semblable à celle des lignes des Princes d’Orange, Maurice & Frédéric Henri , qui, par leur application à les bien faire, les rendoient si bonnes qu’cm ne les a jamais forcées, quo jqu’elles ayent été souvent attaquées. II y a déplus ici cet avantage, qu'on pourroit les faire en bien moins de tems que ces Princes, qui y employoient des mois entiers. c t MEMOIRE. Préparatif da parc d'artillerie. Quelques détachemens de soldats travailleurs & ouvriers des Régimens seroient employés au parc pour y aider les soldats d’ar- tiilerie à former le parc & le magasin à poudre , à monter les pieces fur les affûts, à préparer les plattes-sormes du canon & des mortiers, à ranger les bombes, boulets, grenades , & les outils, & à radouber ce qui en auroit besoin. Ce travail se sait pour l’ordinaire par des soldats pris au hazard dans Parmée, qui, par leur peu d’expérience, ou fervent souvent îrès-peu , ou mettent de la confusion dans l’arrangement des différentes munitions, ou s’estropient ; ce qui n’arriveroit sûrement point fi ee travail étoit fait par les soldats travailleurs des Régimens qui seroient exercés à çes manoeuvres. Parc d'artillerie. II y a une Compagnie d’ouvriers de soixante hommes par chaque bataillon de Royal Artillerie , qui est employée dans le parc d’ar- pllerie à construire les portières, les fron- tespH de mste, les blindes, les étayes, les MEMOIRE. i j Lois, les planches pour les mines, pour les descentes de fossés & autres parties des tranchées , & à radouber tout ce qui est endommagé. Ceux qui se font trouves à des sièges considérables conviendront, qu’une Compagnie d’ouvriers de soixante hommes f à la supposer même toujours complette ne peut suffire à la multiplicité de ces travaux ; & il est d’ex- périence que souvent la petite quantité d’ou- vriers qu’il y a d’ordinaire dans les parcs , a retardé les travaux , 8c a obligé de se passer pendant quelque tems des choses nécessaires, ce qui cause toujours la perte de quelques hommes. En employant donc des détachement de soldats ouvriers des Régiment dans le parc d’artillerie , on se procure l’abondance & le prompt service de tous ces ouvrages si nécessaires pour l’avancement & la sûreté des travaux des sièges. Artificiers . Le Roi n’entretient dans ses armées que cinq artificiers, un pour chaque bataillon de Royal Artiílerie. Tout le monde conviendra que ce nombre n’est pas suffisant, puisque l'artisicier d’un bataillon d’artillerie employé à un siège peut cij iìj MEMOIRE, manquer dès le commencement d’une Campagne , comme il est arrivé au dernier siège de l’Ecluse j où le sieur Benoist artificier fui emporté d’un coup de canon , allant voir Teflèt de ses feux d’artifice. II est difficile, & on est toujours très-longtems à remplacer un homme, dont le travail demande de la science, Kr beaucoup d’expéricnce. Les soldats artificiers des Régimens, instruits par les Officiers des travailleurs, levei- roient cet inconvénient d’ailleurs, les tranchées seroient toujours abondamment fournies des feux d’artifice nécessaires pour l’atr laque des places, & ces feux seroient d’un effet plus sûr , puisque tous les soldats qui tra- vaiileroient fous l’arfificier , seroient eux- mêmes artificiers. Gabions f Les gabions doivent être de deux pieds & demi de haut, fur autant de diamètre, afin de les rendre plus maniables. Le diamètre du haut & du bas doit être égal, afin qu’il y ait moins d’ouverture entre deux gabions ; ils doivent être de bonne assiette, afin qu’ils soient plus vite posés. Les gabions íè font indifféremment par tous les soldats de l’armée ? gui n’ayant pe» M E M O I R E. liì; sonne pour les observer dans ce travail, les construisent suivant leur caprice , & presque toujours fort mal. Les Officiers des travailleurs des Régimensy chacun dans le leur , instruiroient les soldats ces dimensions qu’il convient de donner aux gabions ; ils en feroient une exacte revue, Sc meuroient au rebut tout ce qui seroit défectueux , sans souffrir qu’il en fût porté aucun à la tranchée qui ne fût régulièrement fait. Cette attention épargneroit les frais d’uti bon tiers de gabions, qui se trouvent si mauvais qu’on n'en peut faire aucun usage ; étant construits régulièrement, de bonne assiette & égaux , ils feroient bien plus vîte posés, conséquemment il périroit bien moins de sapeurs & de travailleurs, puifqu’ils feroient moins longtems exposés. Saucissons. Les Officiers d’artillerie prévenus avec raison du mauvais travail des soldats •> lorsqu’ils n’ont personne pour les diriger , veulent que les saucissons soient faits en leur présence. La plûpart les font faire fur le terrein destiné à la batterie. Les mouvemens pour amasser les fascines pour faire ces saucissons, & le tems employé à la façon» laissent le soldat ex- c iij îív MEMOIRE. posé ìl en périt toujours pendant ce travail. Les Officiers des travailleurs les feroient faire régulièrementchacun dans leur Régiment; le service de Partillerie n’en iroitque beaucoup plus vite, & ce travail se faisant hors de la portée des coups, il n’y périroit personne. Tranchée. On remarque dans tous les sièges que les travailleurs de jour , dont ont fournit toujours un grand nombre , ne travaillent jamais plus de deux heures, & quelquefois point du tout; que comme on les tient dans les travaux les plus avancés, il en périt toujours beaucoup les bras croisés ; que malgré ce nombre de travailleurs les ouvertures, & les éboulemens qui se font à la tranchée presque à chaque instant, restent longtems fans être réparés. Les Ingénieurs attentifs à avancer les travaux , & souvent excédés de fatigue, font comme forcés de négliger ce qui reste derrière ; ils perfectionnent' les travaux, mais le défaut d’entretien les rend en peu de jours bien défectueux. C’est cependant de ces travaux entretenus en état de bonne défense que dépend la sûreté de la tranchée , & la vie de bien des hommes. MÉMOIRE. tv Les Officiers des travailleurs marchant à la tranchée avec leurs Régimens , feroient par leurs soldats travailleurs réparer dans l'instant les dégradations qui arriveroient par le canon, les bombes & les mines , & entretenir en étai de bonne défense les parallèles, & tout le terrein qu’occuperoient leurs Régimens. Par ce service des Officiers des travailleurs des Régimens , on épargnèrent au moins moitié des travailleurs de jour. Le soldat se- roit moins fatigué , l’Officier ne marcheroit pas si souvent aux travailleurs, la tranchée seroit toujours en bon état. Sappe. II n’y a presque point de Capitaine , qui ne regrette quelques braves soldats péris en faisant le service de sappeurs volontaires. Ce service est un véritable métier qui exige un apprentissage. Tout soldat qui, conduit paf la bravoure ou l’appas du gain , voudra s’en dispenser , est presqu’assuré de périr, L’expérience de l’incapacité des sappeurs volontaires a été cause qu’on n ! a presque point poussé pendant le jour les travaux du siège de Berg-op-Zcom, que je prends ici pour exemple , comme un des plus fameux. Moi-même q y faisois le service d’Ingé- c iv -*' ívj MEMOIRE, nieur, j’ai été obligé plusieurs fois de ceíìèr îe travail de jour, tous mesíâppeurs étant tués, ou blessés, parce qu’ils ne sçavoient pas leur métier. On a été obligé de poser à sappe volante pendant la nuit dans les endroits les plus dangereux, pour gagner le tems qu’on t toit obligé de perdre le jour faute de bons íâppeurs. Les soldats travailleurs des Régiment, exercés & instruits par leurs Officiers de la façon & des précautions qu’il convient de prendre pour bien condpire une tête de sappe , four- niroient une source inépuisable de bons sap- peurs. Par-là on seroit en état de pousser plusieurs têtes de sappe, qui marcheroient jour & nuit, sans que les sappeurs fusiênt trop fatigués. Par- là , les sièges deviendroient bien moins meurtriers & moins longs. Artillerie. Les Régiment fournissent tous les jours dans les sièges à l’artillerie, tant pour la corffi truction des batteries, que pour leur service journalier, un grand nombre de travailleurs ; il en périt toujours beaucoup. Tous les Officiers d’artillerie , avec qui j’ai conversé à ce sujet, m’ont dit avoir remarqué, que pra- M E M O I R E, rvij portion du nombre, observée, il périífoit au moins un tiers de travailleurs, plus que de soldats d’artillerie , parce que les travailleurs ne sçavent point les précautions qu’on peut & qu’on doit prendre dans ces travaux, & qu’ils n’y sont point exercés ; qu’outre cette perte, & par les mêmes raisons, six travailleurs ne rendoient pas un aussi bon service que deux soldats d’artillesie. On ne fourniroit à l’artillerie que les soldats travailleurs de la création que je propose qui étant exercés par les Officiers des travailleurs des Régimens, à toutes les manœuvres de l’artillerie, lui rendroient le même service que leurs propres soldats, & avec les mêmes précautions. De-là, l’artillerie dans les sièges seroit mieux servie ; on fourniroit moins de travailleurs , & il ne périroit pas tant de soldats. Mines „ Les Mineurs sont aussi obligés de se servie dans leurs travaux d’aides, ou de travailleurs- qu’on tire indifféremment fur toute l’infanterie. On leur fourniroit de même des soldats- travailleurs exercés aux travaux d-es mines par leurs Officiers, par les mêmes raisons, & avec les mêmes avantages qu’à l’article précédente MEMOIRE. iviìj Attaque du chemin couvert de vive force . Le signal pour l’attaque du chemin couvert étant donné, les troupes commandées passent brusquement par-dessus le parapet de la place d’armes de la tranchée , marchent à grands pas au chemin couvert qu’elles enveloppent de tous côtés, entrent ou íautent dedans pour tailler en pieces tout ce qui íè rencontre , & en chaíîer l'ennemi. Les Ingénieurs, après avoir reconnu & s’être distribué entr’eux une certaine étendue de terrein à chacun , suivent ces troupes avec un nombre de travailleurs qu’ils établistènt promptement fur le haut du parapet du chemin couvert pour y faire le logement. La place de son côté sè défend , & met tout en usage pour repousser l'assiégeant. Comme toute cette scene íe passe à découvert de la part des assiégeans, fous le feu de l’assiégé , & qu’elle dure une heure ou deux , & quelquefois plus, il y a toujours bien du sang de répandu , &' il est moralement impossible qu’il n’y ait plusieurs Ingénieurs de tués ou de blessés. Les travailleurs, fous les ordres de Lingé- MEMOIRE. xíx aieur qui est tué, n’ayant plus personne pour les établir fur le terrein où ils doivent faire le logement , ne sçavení où se placer ; après avoir jette beaucoup d’embarras & de confusion dans les travaux, & être restés pendant quelque tems exposés à tout le feu des assiégés , ce qui s’en est échappé, se rejette dans la tranchée. Le logement ne se trouve point fait, les troupes qui ont attaqué restent fans être logées , & périssent pour la plupart. Si l’Ingénieur n'est tué ou blessé qu’après avoirdéja établi ses travailleurs fur le terrein, où le logement doit être fait, ou les travailleurs continuent mal ce qu’ils avoient bien commencé, ou ils se contentent de se serrer de façon à être à l’abri du feu de la place » sans vouloir s'exposer davantage pour perfectionner l'ouvrage, & fans s'inquietter si les troupes, qui ont attaqué , pourront s’y loger. Enfin, il est certain que dans ce cas ils laissent l’ouvrage si imparfait , qu'il vaudroit presqu’autant qu’il ne fût pas ébauché , & que de-là il s'ensuit de même la perte de bien du monde. Qu’on lise le Journal du siège de Berg-op- Zootn, on verra la prise du chemin couvert de la droite de Tattaque, manquée par des ac~ cidens de cette nature. O a verra que dan £ïj IX MEMOIRE. cette partie, ou plusieurs Ingénieurs ont été tués ou blessés en différens tems, le logement était fait dans quelques endroits , ébauché dans d'autres , & qu’ailleurs il n’étoit pas commencé. Qu’on continue de lire le Journal , on verra la quantité de journées & d’hom- mes dont ces accidens ont causé la perte , & on sera en même tems convaincu de la bonté d’un projet qui peut les prévenir, comme j’eípere le faire voir. Les travailleurs de la tranchée font divisés en piquets de 50 hommes. Chaque piquet est- conduit par un Capitaine & un Ce service dans chaque Régiment se fait de la part des Officiers chacun à leur tour. L’ordre du service ordinaire pour marcher aux travailleurs de la tranchée, seroit interrompu , lorfqu’il Ièroit question d’attaque de chemin couvert. Ce ferait toujours les Officiers des travailleurs des Régimens qui y marcheraient dans. ces occasions sçavoir un Capitaine & deux Lieutenans par chaque piquet ; alors p ayant toujours trois de ces Officiers par 50 hommes , outre les Ingénieurs ordinaires, il ferait preíque certain, quelque vigoureuse que fât la défense des assiégés, qu’il y resterait au moins par piquet une personne en état de con- MEMOIRE, cfuîse ces travaux, & que par conséquent le logement se feroit également par-tout. Loríqu’il y auroit quelques asiâuts, les piquets des travailleurs destinés à faire les loge- mens fur les breches, ou dans les ouvrages, seroient aussi conduits par un Capitaine & deux Lieutenants de travailleurs, par les mêmes raisons rapportées à l’article précédent» Utilité res Soldats travailleurs. dans la défense des Places. E Roi entretenois dans cette derniere - 1 —i guerre 300 Ingénieurs, 300 Officiers' d’artillerie , ; Bataillons d’artillerie, composés' chacun de dix Compagnies de 100 hommes, 5 Compagnies de Mineurs de 75 hommes chacune, & ; Compagnies d’ouvriers de 6 o. Dans presque toutes les guerres, la France’ a toujours eu plusieurs corps d’armée en campagne elle n’en a jamais eu moins de deux, 6 souvent plus. En supposant qu’il n’y ait que deux armées en campagne , & dans chaque armée un cinquième de ces corps, il ne restera donc pour garnir toutes les places du Royaume , que 180 Ingénieurs, 180 Officiers d’artillerie, 3000 Soldats d’artillerie, r. r5 Mineurs,. Sc 180 ouvriers. ixij MEMOIRE. Si on sait attention à la quantité de place» fortes qu’il y a dans le Royaume , on voit sensiblement qu’il ne peut y avoir dans chaque place que de très-foibles détachemens de ces différentes troupes, si nécessaires pour leur désunie & leur sûreté. II est même assez commun en >tems de guerre de voir des places en être totalement dégarnies. Je ne citerai qu’un exemple pris de la derniere guerre en Flandres. Lorsque le Duc d’Aremberg, après avoir passé une bonne partie de la campagne vis-à- vis de l’armée de France, commandée par le Maréchal de Saxe , & inférieure en nombre à la sienne , siins oser rien entreprendre, bazarda enfin de faire une irruption sur la Châtellenie de Lille , on fut obligé de faire partir du camp de dessous Courtray des détachemens d’àrtillerie fur des voitures en poste , pour les jetter dans Douay qui étoit pour lors fans Canoniers, ni Bombardfers, ni Mineurs. Les besoins continuels qu’on a dans les armées , d’artillerie, d’Ingénieurs, de Mineurs & d’ouvriers, occasionnant donc qu’en tems de guerre il y a beaucoup de places où il n en reste point, ou du moins très-peu, & étant d’ailleurs démontré que ces détachemens font MEMOIRE. ixííf toujours nécefîàirement très-foibles, de-là il í' enfuit la preuve de la bonté de la création que je propose , puifou’on seroit aíîuré par son er^cutivn qu’il y auroit dans toutes les places, à proportion de la grandeur Sc de la force de leurs garnisons, beaucoup d’Officiers en état de commander le service de l'artillerie & des Mines, des soldats exercés à leurs manœuvres , & des travailleurs & des ouvriers pour exécuter tous les travaux praticables pour 1* défense des places. Ils soulageroient aussi beaucoup l’artillerie & le génie ; ils remplace- roient ceux qui par la mort, la maladie, ou les blessures, seroient hors de service. Les soldats travailleurs, & les ouvriers des Régimens seroient employés avec les mêmes avantages pour la défense des places, que ceux qui ont été observés pour Tattaque , soit pour combler & abattre ce qui peut couvrir Eennemi à la portée du canon de la place » soit pour construire des ouvrages propres à Ea fréter, ou à se garantir de ses coups, & particulièrement pour l'artillerie, les mines , les artifices, la défense des chemins couverts & des breches, & la construction des machines qui y peuvent servir» i»> MEMOIRE. Ouvriers . Dans les places assiégées on est obligé, par la multiplicité des travaux, de se servir de tous les ouvriers, qui par hazard íe trouvent dans le nombre des soldats, & d’employer tous ceux qui se trouvent dans les places. Dans les grandes Villes, comme Lille, Mets, je conviens qu’on trouve beaucoup- d’òuvriers , & qu’un habile Gouverneur peur en tirer de grands avantages pour la défense de ía place mais le nombre des grandes places est rare ; il y en a beaucoup plus de foi- bles en habitans, & par conséquent en ouvriers , quoique très-fortes par elles-mêmes, & en état de résister longtems. D’ailleurs est - il possible, & même vraisemblable , qu’un ouvrier attaché à sa petite fortune , & à sa famille , domicilié , & paisible habitant d’une Ville , se prête à travailler volontiers, & comme il faut, lorsque son travail l’expose à quelque péril ? II ne le sait qu’en tremblant ; il ne marche que de force, & même il cache ses talens, s’il lui est'possible ; enfin , il est certain qu’un homme qu’on occupe pour la défense d’une place, doit pour bien faire son travail, être en même tems boa ouvrier & bon soldat. MEMOIRE. lxV Par la création que je propose, il y auroit dans toutes les places, à proportion de la garnison, des ouvriers de toutes les eípeces utiles pour la défense. Ces ouvriers étrangers aussi braves soldats, qu’expérimentés, ne s'c P faroucheroient pas à la vue des travaux les plus périlleux, & les exécuteroient toujours avec autant de courage que d’habileté. De - là , un Gouverneur pourrcit entre-* prendre tout ee que fa bravoure & fa fidélité lui inspireroient pour le salut de fa place. De-là, revivroient les défenses des brecbes, telles que celles de Mets, par M. de Guise » & tant d’autres si brillantes & si connues cite» nos anciens. De-là, deviendroíent plus communes ces sça vantes défenses des chemins couverts, telles que celle de Lille , qui soutint sept attaques » tant par la façon habile dont M. le Duc de Poussiers disposa son feu, que par les ouvrages & palissades qu’il eut la facilité d’y ajouter, en se servant des ouvriers qu’il trouva dans cette grande Ville. Artillerie. Dans une place assiégée , on destine dès le commencement du siège une portion des troupes de la garnison, pour servir aux manœu- ixvj MEMOIRE. vres de Paítillerie pendant tout le te mr de la durée du siège. Le Maréchal de Vauban , dans son excellent Livre de l’attaque des places, dit que l’artillerie des assiégés est bien-tót réduite au silence par celle des assiégeans, parce que cettê premiere est toujours mal servie. La judicieuse remarque de ce grand homme s’est vérifiée dans tous les sièges qu’on a faits dans cette derniere guerre. Qu’on ouvre en effet quelques Histoires militaires, on verra que l’artillerie des places, mise hors d’état de servir , a été presque toujours un des motifs qui a déterminé à capituler avec l’ennemi ; & ce motif se trouvera toujours, tant que la forme du service actuel dans les places sera la même. Mais, par la création que je propose, y ayant toujours dans les places une grande quantité de soldats exercés aux manoeuvres de l’artillerie , & des ouvriers pour la radouber , elle sera toujours bien servie, toujours bien entretenue , & elle pourra toujours faire tête à celle des assiégeans ; par conséquent le motif de l’artillerie détruite, qui sert de prétexte , ou qui oblige à presque toutes les capitulations , disparoîtra ; & les défenses seront, & bien plus longues, & bien plus vigoureuses, MEMOIRE. xxvij Mines. Les résistances qui se sont par les mines, font de toutes, les plus belles, les plus longues , & les plus fçavantes. C’est pour ainsi dire l'art de rendre un siège éternel. Un Val- liere assiégé & Commandant dans un poste tel que la Citadelle de Tournay, tel que Condé, Landaw, &c. étant d’ailleurs bien pourvu de vivres, de munitions & de Mineurs , feroit morfondre les plus nombreuses armées , & périr une infinité prodigieuse d’hommes. Les autres défenses affoiblissent extrêmement une garnison , & obligent souvent à se rendre, au lieu que les mines en se rendant les maîtresses du dessous, assirent le dessus, sont perdre un tems infini à l’assiégeant, le détruisent, & conservent à la fois la garnison & la place. L’Histoire militaire , & en dernier lieu Berg-op-Zoom, nous montre à chaque pas la bonté de cette seavante partie de la guerre, qui n’a cependant jamais été pratiquée qu’im- parfaitement, & qui, si j’ose le dire, est encore aujourd’hui extrêmement négligée. 'D’ailleurs , la petite quantité de Mineurs qu’il y a dans nés troupes, ne permet pas tfcviij M E M O I R- Ë. d’en jetter communément dans une place me- 1 nacce un détachement plus fort que de 15 ou 20, qui peuvent au plus établir quelques fourneaux , ça&là, intimider l’ennemi fans lui faire grand mal, ni beaucoup le retarder. Suivant mon projet, dans la grande quantité d’Officiers des travailleurs qui feroient obligés de s’appliquer à la science des mines , qui joindraient la pratique à la théorie , erl exerçant dans les garnisons leurs soldats à ce genre de travail, ils’yen trouverait quelques- ùns à coup sùr, qui se mettraient en état de pratiquer le grand, le beau, & futile de cette sçavante partie de la guerre, & la quantité de Mineurs, qui est prouvée actuellement toujours nécessairement très-petite dans toutes les places, se trouverait beaucoup augmentée , & il y en auroit aíîèz pour exécuter tous les travaux que cette science apprend pour la défense des places. Artifice. II y a très-peu de places où 11 y ait des artificiers attachés au service de la place. De ce petit nombre , la plupart s’occupent de la. Pyrotechnie amuíànte & récréative, & négligent les parties de cette science utiles pour la guerre. MEMOIRE. ixîx Cependant les personnes qui réfléchiront sor les moyens qui peuvent retarder la priso des places , & mieux encore celles qui sc sont trouvées dans les places aíïìégées , conviendront que la Pyrotechnie entre .pour beaucoup dans leur défense, & que c elì un avantage considérable pour une place assiégée d’avoir plusieurs artificiers habiles. L’Hiífoire ancienne nous fournit quantité d’exemples, qui prouvent la bonté de ces sortes de défenses , & le peu d’uíàge que les modernes en ont lait, a toujours eu du succès. Les deux soldats par bataillon que les Oise- ciers des travailleurs des Régimens instruit roient, suivant mon projet, des parties ds cette science utiles à la guerre, fourniroient dan^ toutes les places du Royaume, un nombre d’artisiciers suffisans pour exécuter tout ce qu’un Gouverneur habile pourroit tirer da cette partie pour le salut de sa place , & les défenses en deviendroient plus faciles & plus belles, puisque par la pratique de cette science» on peut observer & détruire l’ennemi & son travail, Tépouvanter & J’arrêter à chaque pas. De tout ce qui vient d’être dit, tant au sujet de l’attnque , que pour la défense des places } il esc très-seníible La quantité de soldats ouvriers & travailleurs , & & des Professeurs militaires qui MEMOIRE. ïjíxxv Énseighoient toutes les grandes parties de la guerre. Les grands Généraux de ces anciennes & illustres Républiques, les guerres fçavantes & les conquêtes de ces Nations belliqueuses qui causent notre admiration, devroientbien nous engager à les imiter. Le Régiment du Roi, où íl y a un Professeur de science militaire entretenu , est une pépinière d’où l’on tire des Officiers qui commandent dans les armées , & dans les places avec distinction. Les grands Officiers que l’artillerie a fournis, & la distinction avec laquelle ce corps a servi, particulièrement dans cette derniere guerre , font les fruits de rétablissement de ces cinq Ecoles. Tous ces Officiers font íçavans dans Part de la guerre, & les soldats capables de ces manœuvres. Un Ministre toujours attentif au bien de l’Etat, ne recevoit dans le Corps du génie que des sujets d’une capacité bien reconnue il les tenoit dans les places toujours occupés de leur métier. Ausst combien ce Corps ne s’est-il pas illustré fous son Ministère, & combien n’a-t-il pas contribué aux glorieuses conquêtes de cette derniere guerre. ? L’Académie qui vient d’ètre établie à Me- zieres pour ce Corps, réparera les grand ïxsxvj REFLEXIONS. pertes qu’il avoit faites dans la guerre, & le ra un monument à jamais fructueux pour FEtat » & glorieux pour fón Instituteur. Tous les Arts, toutes les Sciences ont leurs Académies j ils'leur doivent leur élévation. Pourquoi F Art de la guerre > protecteur de tous les Arts, protecteur de l’Etat, n’a-t-il pas les siennes ? L'artiilerie & le génie ont les leurs mais; le corps d’infanterie qui fait la principale force des armées, qui en est, pour ainsi dire, Famé, n’a pas le même avantage. Ce peuple de braves sçldats , énerve fa valeur naturelle dans F oisive té , il reste tout le tems de la paix sims être instruit des sciences militaires, ni exercé' à ces travaux. II prodigue son làng, il est vrai, lorsque le service de l’Etat le demande ; mais la vie toujours précieuse de sujets si zélés , pourroit être employée plus utilement. Des différents corps qui composent une armée , il n’y en a point cependant de si nom-, breux , de si utile , & qui soit employé à tant de divers travaux que celui de l’infanterie. II a la valeur, il est exercé au maniement des armes & aux évolutions, il combat bien, mais on l’errploye au service de l’artiilerie, au service des mines , au service de la fappe , à ap- planir tous les obstacles pour le passage des armées, à la construction, de toutes les fbrtâ- REFLEXIONS, ixxxvîj fic'aribn passagères. II est chargé de Pexécution de tous les travaux des attaques & défenses des places ; il est tous les jours obligé de fe fortifier dans-une- plaine , dans un pays ccu- yert , clans un château , dans une maison ; ce corps-exécute quelquefois mal ces travaux , s’y. étant jàmjisifxercé, il l’es regarde comme ne faisant fias partie dé son-métier, il les ignore, souvent il répare son ignorance par Peffusion de spn sang , il ne sçait que combatte. , parcs qu’il n’est exercé qui combattre. Cependant la valeur seule ne fait pasl’hom- Bie de guerre , l’étude des sciences militaires doit la diriger, & la rendre fructueuse. C’est mal servir son Roi, que d’ignorer les sciences- qui peuvent conserver la yie de ses sujets ; il fcut vaincre , mais il faut ménager le sang dut soldat. La valeur peut donner la victoire , l'étude des sciences militaires la rend plus ce r-, mine, moins coûteuse, & en allure les fruits & la gloire. La bravoure est naturelle au soldat François, mais elle ne suffit pas pour- faire le bon soldat, il saut encore qtjsil soit fort, robuste, & endurci aux peines. & aux travaux militaires pour soutenir les fatigues de la guerre y où la maladie le fait périr plus sûrement qua Pépée de l'eimemi. II faut q-u’il connoiíîe les travaux auxquels opfemploye ordinairement » ìxxxvîij REFLEXIONS. & qu’il y íoit accoutumé ; ou il fait mal fojî service, & se sait tuer ou estropier infructueu- semen t, L’établissement d’une Académie militaire, que je propose, dans toutes le s'garnisons du Royaume, rend néceiïàirement rOfficier véritable homme de guerre , & le-soldat véritablement bon soldat. f qrn. Jamais les Ecoles d’artillerie n’ont été au point de perfection, où elles sont sous ce régné. L’Ecole qui vient d’étre établie à Mezìeres pour le génie , ne peut manquer de soutenir l’honneur de ce Corps. L’établiísement de l’Ecole Royale Militaire, & l’éducation qu’on so propose d’y donner à la jeune Noblesse , va servir de modele aux peres qui sont en état de la procurer à leurs enfans, & rendre tout le corps d’Officiers instruit dans l’Art de la guerre. Inexécution de ce projet assurera les fruits de ces brillans établiíîèmens ; il tiendra la milice Françoise toujours en état de soutenir les fatigues de la guerre, & exercée à ces travaux > il rendra enfin ce Corps auflì f ormidable qu’il le peut être, & le portera au point de perfection , qui fait l'objet des attentions du Ministre zélé d’un Roi qui ne cherche à se rendre redoutable à ses ennemis, que pour assurer le bonheur de ses sujets, F I N. 1XXX1X POEME HEROIQUE Sur l'EtaMiJsement âe l’Ecole Rojale Militaire, Par M. M a r m o n t e l. J E consacre mes chants à ce Temple des Arts » Le Cirque de la Gloire , & FEcole de Mars, Où des Nobles François la Jeunesse élevée , Sous les yeux de son Roi va fleurir cultivée. Vaine esclave des Cours, Muse, dont les accens Des favoris d’Auguste ont profané Fonçons, Va loin de mon Héros, perfide enchanteresse , Vendre à l’orgueil des Grands une indigne caresse. Mais toi, que Fénelon imploroit autrefois, Lorsqu’il formoit le cœur des enssns de nos Rois, Toi, de la vérité noble & tend-e interprète , Muse, inspire à mes vers cette douceur scerette, Ce charme impérieux dont tu sçais nous saisir, Et qui donne aux vertus les attraits du plaisir. 31 n’appai tient qu’à toi de peindre un Roi sensible Qui gémit du besoin de se rendre terrible , Et d’un œil paternel veillant sur ses Etats, par amour pour la paix se préparç aux combatts Dis somment de nos Rois cette immortelle Fille, 1 a Noblesse à l’Etat compose une famille Dis comment fut conçu ce généreux projet Dis quelle en fut la source , & quel en est Fobjet, Parle & ne flatte point tes pinceaux pour hommage Ne doivent à Louis offrir que fou image II fe juge lui-même, & veut, s’il est loué , Voir par la vérité son éloge avoué. Non loin de cette Ville en délices féconde, D’où le Luxe & les Arts dictent leurs Loix au monde, les Bourbons & la Gloire ont choisi pour séjour Un Palais, tel qu’on peint celui du Die u du Jour. Là de Louis le Grand tout retrac e Filtrage. Pour rendre à ce Héros un immortel hommage, *c L 1 E C O L E les Arts , à qui son ame imprimoit sa grandeur,’ Voulurent de son régné y marquer la splendeur. Le pinceau déploya fes plus savants prestiges , Le ciseau créateur enfanta des prodiges, Praxitèle .En replis ondoyants tombent jusqu’à sespiés. MILITAIRE. xcj Dans l’une de ses mains une épée étincelle. A ses côtés, semblable à l’auguste Cybele , Elie voitses cnfans au sortir du berceau D’armes & de'lauriers embrasser un faisceau. Le Héror reconnut la Noblesse à ces marques. Ses traits furent toujours si chers à nos Monarques ! • Mais parmi tant de Rois , dont elle fut l’appui, Qui'jamais eut pour elle autant d’amour que lui ? II lui tendit la main. Cette imprévue ' la tróuble , la saisit. Elle baille la vûe. Elle a vû les dangers & la mort fans effroi, Et ne peut soutenir un regard de son Roi ; Tant de la Majesté la redoutable empreinte, Sans affoiblir í’amour,peut inspirer la crainte. Elle approche. Sa voix se glace à son aspect ; Elle tombe à ses pieds tremblante de respect. Le Prince la releve. „ O Fille auguste & chere , „ Lui dit-il, votre Roi n’eft-il pas votre pere ? 5J Rassurez-vous, parlez,,, La Noblesse à ces mots? D’un geste & d’un soupir répondant au Héros, Lui montre ses enfans , son deuil, ses cicatrices ; Implore d’un regard ses bontés protectrices , Et ses pleurs échappés achevent d’énoncer Des plaintes que fa bouche eût craint de prononcer. Telles de Jupiter ces Filles gémissantes, Les Priéves , en pleurs , foibles & languissantes, Marchent les yeuxtaissés, & d’un pas chancelant. Vont aux pieds de ce Dieu sc jetter en tremblant LOUIS fut attendri. Que ces pleurs, ce silence Ont pour un Roi sensible une vive éloquence ! Ma Fille , lui dit-il. je t’entens c’tst assez. ,, Tes exploit- de mon cœur ne font point effacés. „ Les Lys se flétriront avant que je t’oublié, „ Tes malheurs, à mes yeux, n’ont rien qui t’Inimilie* ,, J’ai vû couler ce sang le plus put de l’Etat, „ Ce sang dont ta Valeur rehausse encor l’éclat. „ J’ai vû cette Valeur franchir tous les obstacles. ,, Ma voix est ton signal, mes yeux font tes oracles » „ Et lorsqu’à la Victoire ils t’otu dit de voler , ,, C’cst un arrêt du sort que ton sang va sceller. „ Cependant tu -gémis. Les lauriers de la guerre, „ Ces lauriers renaissans fous les coups du tonnerre» », Aujourd’hui fur ta tète indignement fanés., bîcîj L’ECOlE », A sécher dans Poubli seroient-ils condamnés I », Non j je dois un axile à ta gloire affligée. >, L'Olive de la paix maigre moi négligée, », Dans nos champs désolés est lente n refleurir ; », Mais bientôt de ses fruits elle va te couvrir. », J'ai dû mes premiers foins à ce peuple innombrable „ Des plus brillants succès instrument déplorable, », Doutant plus malheureux que fa timide voix », Parvient plus lencemenr à Poreille de Que des travaux guerriers le seul accord décide, Et que sans le concours de ses divers Moteurs Le plus sage projet accable ses Auteurs. 5 , D’un indocile orgueil montrc-leur la bassesse. 93 Qu’ils fpchcnt is, epie mes nouveau*; bleL* „ faits MILITAIRE. xçy j, Pour ce peuple si cher ne soient un nouveau faix ; ^ Vous croyez voir l’intrigue avide & mercenaire. „ Vous croyez voir l’abus, par qui tout dégénéré, ,, Saper les fondemens de mon nouveau projet ; ,, Vos craintes firmes foins ont eu le même objet. „ Mais les plus grands desseins ont les plus grands ,, obstacles. „ Ces obstacles vaincus enfantent des miracles. „ On craint peu les écueils qu’on découvre deloû> ,, Tirons du superflu des secours au besoin. ,, b’art ne rend-il jamais un poison salutaire ! ,, Rendons de la vertu, le vice tributaire. „ Que l’homtnage du luxe & de l’oisiveté „ Soit d’un noble travail l’apanage affecté. „ Ainsi l’XEconomie en ressources fertile „ Spait au progrès du bien rendre le mal utile. ,, La Valeur, ce fléau de stimulation, „ Peut usurper les fruits de cette adoption; „.C’estàvous d'y veiller, Justice incorruptible. ,,.Scyez de ce jardin le dragon inflexible. „ Que l’artifice en vain cherche à vous assoupir. ,, Point d’égard , point d’accueil qui vous coule utl „ soupir, ,, Bravez tout. Des vertus conservez l’héritage. ,, Du Noble infortuné , c’eít ici le partage. ,, Que les plus malheureux soient les premiers admis ,, Que du pere aux enfans le mérite transmis , „ De leur adoption soit la réglé & le titre. „.De leurs droits consacrés, je vous nomme l’arbitre. „ Un Pore , des Ayeux dévoués à stEtat, ,, Et blanchis dansles Camps , ou morts dans un comr „ bat, ,, L’ délaissé fur la tombe d’un pere , , pupile ajoutant aux malheurs d’une mere „ Voilà fur quels Tableaux vos regards attachés „ Peuvent braver l’intrigue & ses détours cachés. ,, Gloire , Justice, ô vous mes fidelles Compagnes, „ Hât z-vous, parcourez mes Cités, mes Campagnes, ,, Assemblez les beaux Arts fous mes loix florissants, ,, Corhez-leurle foin de mes Guerriers naissants. -, Si dpns tous mes conseils admises l’une & stautre, ,, Votre voix fut la mienne, & mon régné le vôtre j ,, refusez pas à mon nouveau dessein. ’» L’casiçce eû le dépôt rupús dans voire sein j xcvj L’ECOLE MILITAIRE. „ Mais defoibles ruisseaux serpentans fous les herbe»,' j, Se changent dans leur cours en des fleuves superbes; ,, Du tribut de leur onde enrichissent leurs bords, „ Et de leur humble source étalent les trésors. Et toi de ces enfans auguste Sc tendre Mere, „ Respire ils font heureux rieur Roi devient leur si Pere.,, O faveur ! ô discours que l’amour a dicté ! Qu’un Roi sensible est grand par son humanité ! La Noblesse oubliant ses malheurs, ses allarmes, Tombe aux pies du Héros, les baigne de ses larmes ; De larmes que la joye & l’amour font couler, De ces larmes, grand Roi, qu’on a vit ruisseler, Quand des bords du tombeau la menaçante Parquèj A tes peuples tremblans a rendu leur Monarque. Mais bientôt de ses pleurs interrompant le cours; Le cœur de la Noblesse éclate en ce discours. „ Mon respect condamnoit mon amour au silence; „ Mais au respect, Grand Roi, l’amour fait violence. ,, Quel bienfait! tout mon sang peut-il le mériter í ,, O mes enfuis, vous seuls pouvez nr’en acquitter. „ Quel Jour brillant doit suivre une si belle Aurore,! ,, Du nom de ses Enfans votre Roi vous honore. „ Qu’il doit par ce grand titre élever vos esprits î ,, Heureuses l’infortune & la mort à ce prix ! „ Allez, que de ses foins généreuse rivale, „ Votre reconnoislance au bienfait soit égale. ,, Pensez que vos Ayeux, de vos honneurs jaloux,' ,, S’ils n’étoicnt surpassés, en rougiroient pour vous. ,, Vous êtes de l’Etat la famille chérie. „ je vous donnai mon sang rendez-le à la Patrie. „ Des Guerriers dont Louis se déclare l’appui, ,, S’ils ne font des Héros, font indignes de lui. Aces mots, dans leurs mains elle remet son glaive* Un nuage à l’ínstant l’ Si l'enlcve. La Gloire, avec des yeux par l’espoir animés Reçoit entre ses bras ses nourrissons charmés La Justice la fuit, &lcur zele unanime Va remplir de Louis le dessein magnanime. Le Héros cependant goûte ce calme heureux Que répand la vertu dans un cœur. généreux, Quand laissant reposer sa sagesse profonde, H vient de travaillés pour le bonheur du Monde» FIN. 4/’ f i » W»,M» í vyx co m H Band o. 3 c» O î- F e z C C CO j" i £ m m z Xlmmb ? r m *1 o m o ! q ; s M3UIIZ H±a "ïi », \í -î? - ì' \ V -'-' \r?? -f *i fc X£* jwCT

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elle se fait baisser par un cheval